C’est à la fois émue et excitée que j’ai démarré la lecture de ce roman, j’avais tellement aimé Cent millions d’années et un jour que la barre était haut placée.
Joseph est un vieux monsieur qui joue sur les pianos mis à disposition dans les lieux publics. Il joue divinement bien, surtout dans les aéroports et les gares. Un jour, il raconte son histoire. Petit, il a vécu une tragédie qui a bouleversé le cours de sa vie : ses parents et sa sœur ont péri dans un crash d’avion. Issu d’une famille très aisée, il s’est pourtant retrouvé dans un orphelinat, Les Confins, qui porte bien son nom : isolé de tout, proche de la frontière espagnole, c’est un microcosme coupé du reste du monde. Ses deux tortionnaires, l’abbé Sénac et le surveillant surnommé La Grenouille, rendent le quotidien sombre et austère. Joseph finit par intégrer un groupe secret, la Vigie, qui se réunit régulièrement, de nuit, sur la terrasse du bâtiment. Une amitié faite aussi de rivalités et parfois de trahisons, naît là-haut entre la Fouine, Sinatra, Edison et le petit Souzix, sur fond d’émission de radio. La routine est aussi brisée grâce à Rose, fille d’un mécène, qui a besoin de cours de piano. Joseph, une fois par semaine, va se rendre dans une vaste demeure qui lui rappellera l’opulence qu’il a connue autrefois. Mais Rose, entre froideur et arrogance, est tout ce qu’il déteste. Leurs sentiments de haine réciproque ne vont peut-être pas durer mais tout ce qui compte pour les garçons est de s’échapper de leur enfer.
Complètement conquise, j’ai été portée et emportée par cette histoire qui aurait pu durer 500 pages de plus. Romanesque à souhait, l’intrigue prend aux tripes, réveille nos désirs de justice, accompagne ces orphelins si fiers et si vaillants. Il est question de résilience, de témérité adolescente, d’amour naissant et de possibilité de pardon. On s’attache forcément à ces adultes en devenir en pensant au vers de Victor Hugo « Innocents dans un bagne, anges dans un enfer. » Et puis il y a l’écriture de Jean-Baptiste Andrea, belle et savoureuse, imagée et juste, elle m’a encore une fois complètement séduite. Des passages entiers que je voudrais garder au creux de ma poche comme cette nuit de tempête où les garçons hurlent fort sans qu’on les entende, « un flot d’or pur, dévastateur, qui se changerait en comète et s’en irait chatouiller des galaxies lointaines. »
Un beau coup de cœur de lecture !
« tu ne joueras jamais comme moi, mon garçon. Mais si ça continue, il y a plus grave. Tu ne joueras jamais comme toi. »
« Je n’étais pas un saint, je l’admets. Ceux de la Vigie encore moins, mais eux avaient une excuse. Quand on croise un enfant qui titube sous le poids d’un cartable ou un vieux qui peine à tirer une valise, on se précipite pour les aider. Ces gamins-là – je dis gamins mais, à l’exception de Souzix, c’étaient presque des hommes -, personne n’avait jamais offert de porter leur colère. On les laissait buter contre les trottoirs, et on regardait ailleurs. Tant pis s’ils tombaient. Ça valait mieux que d’être écrasé par ce qu’ils charriaient. Ils étaient durs, ils étaient drôles, ils étaient sans victoires. Mes amis. Les soirs de tristesse, les soirs de vin aigre, je pense encore à eux. »