Après avoir lu Catharsis de Luz, j’ai préféré laisser passer un petit temps pour découvrir, sur le même thème, La Légèreté.
Catherine Meurisse est dessinatrice pour Charlie Hebdo depuis dix ans. Le 7 janvier 2015 au matin, elle rumine sa séparation avec l’homme qu’elle aime qui l’abandonne pour retrouver femme et enfants. En retard pour se rendre à la réunion de rédaction, elle arrive rue Nicolas-Appert lorsque Luz, en retard aussi (c’est le jour de son anniversaire) la prévient « Ne monte pas au journal. Il y a une prise d’otages à « Charlie ». » La suite, on la connaît. Ici, on la découvre à travers celle qui aurait pu mourir aussi ce jour-là, celle qui a perdu une partie de ses collègues et amis, celle qui perd la mémoire sous le choc du massacre. Catherine Meurisse est passée par différentes étapes dans la reconstruction : une perte des repères, la page blanche (« les idées reviennent péniblement, le dessin plus laborieusement encore »), la fuite (voir Cabourg pour retrouver Proust qu’elle aime tant), l’état de dissociation (elle voit son corps mourir, la plupart du temps), l’agacement d’avoir deux baraques de la sécurité collées à elle constamment. Elle finit par vouloir retrouver la beauté, cherche à ressentir ce fameux syndrome de Stendhal qui voudrait que la beauté d’une œuvre d’art prenne le dessus sur tout le reste. Elle se rend à la Villa Médicis à Rome en quête de beau mais n’y retrouve, dans un premier temps, que des résurgences de la tragédie qu’elle a vécue, les œuvres d’art évoquant bien souvent des tueries. Le syndrome de Stendhal lui aurait « posé un lapin. »Mais elle ne lâche pas l’affaire et c’est finalement à travers la musique, la peinture et un beau paysage, qu’elle parvient à retrouver un peu, rien qu’un peu de cette « légèreté ».
Cet album est magnifique. Emouvant bien sûr, courageux, très fort et sublime. Au cours de la lecture, on ressent tout sauf de la « légèreté », les événements tragiques nous reviennent à la figure (pour parler poliment), pèsent et accablent, et petit à petit, on se met à la place de Catherine, celle qui a réellement besoin de survivre, de revivre et de renaître. L’énorme vague de solidarité (encore que ce ne soit pas le mot adéquat) avec ce fameux « Je suis Charlie » ne semble pas avoir aidé la jeune femme à sortir la tête de l’eau. C’est bien sûr en elle-même et loin de tout qu’un début de renaissance a pu se faire. Certaines planches sont une merveille qui correspond très bien à l’idée qu’on peut se faire du « Tu m'as donné ta boue et j'en ai fait de l'or. » Plus doux que l’album de Luz mais non moins marquant.
A lire absolument.
Lorsqu’elle retrouve le petit chemin creux de la campagne où elle a grandi, même là, elle ne trouve que tristesse et détresse. « Enlacer un arbre. Toi, tu es là depuis toujours, tu ne meurs pas, tu ne tombes pas. Si on te tire dessus, ton écorce engloutit la balle. »
« Une fois le chaos éloigné, la raison se ranime et l’équilibre avec la perception est retrouvé. On voit moins intensément, mais on se souvient d’avoir vu. Je compte bien rester éveillée, attentive au moindre singe de beauté. Cette beauté qui me sauve, en me rendant la légèreté. »