Un soir de malchance, Clémence, 15 ans, se fait agresser. Ce n’est pas un viol, elle réussit à se dégager et s’enfuir mais l’agresseur l’a blessée légèrement, l’a pelotée, l’a insultée. Choquée, meurtrie, abasourdie, elle se rend comme si de rien n’était à la petite fête qui clôt ses années collège. Pourtant, en elle, tout a changé. Clémence a perdu la sensation tactile, elle ne ressent ni le chaud ni le froid ni la douleur, sa main ne différencie plus le lisse du rêche. Et Clémence se tait. Elle pense qu’elle a mal réagi même si elle a réussi à faire décamper le violeur. Elle pense qu’elle a dû l’aguicher involontairement et elle coupe sa longue chevelure rousse.
Clémence grandit, elle s’oblige à perdre sa virginité très tôt, elle couche avec n’importe qui, de toute façon, elle ne ressent rien. Elle vit sans vivre, elle quitte le foyer, s’éloigne de ses amis, se contente d’avancer, devient maquilleuse de poupées de luxe pour pervers solitaires. A trente ans, elle vit comme un automate, sans amis, loin de sa famille. Pourtant, rien ne semble être figé éternellement, peut-être qu’une rencontre peut inverser la donne et la faire revivre…
Quel roman ! C’est avec une motivation tiédasse que j’ai lu les premières pages mais l’écriture - d’une remarquable fluidité - de Bertholon nous emporte tout de suite dans cette histoire presque tristement banale qui devient extraordinaire par bien des aspects. Il est question de résilience, de rencontres –bonnes et mauvaises-, d’identité, de silence, de renaissance surtout. Un livre-claque qu’on ne lâche pas, un roman passionnant. Je me permets d’emprunter la recette d’Alex (tu ne m’en veux pas ?) en vous livrant les images que je retiendrai de ce livre fort et bouleversant :
- l’immersion d’une Clémence qui ne frémit pas dans une rivière glacée,
- la rencontre avec Damien, ce flic formidable,
- la redécouverte des sensations (le café trop chaud, le pull qui gratte, le carrelage froid),
- la lettre d’un type qui a acheté une poupée, tellement heureux de savoir qu’elle ne mourra jamais contrairement à la femme qu’il a tant aimée…
- ces parents lâches et bavards sur qui Clémence ne pourra jamais compter.
Delphine Bertholon a l’art de manier avec brio et originalité les sujets difficiles et rebattus, il en était déjà ainsi pour Twist que j’avais aussi beaucoup aimé.
« Elle était nue, cheveux carbone et sexe cuivre. Pour la première fois depuis son agression, elle accepta ce corps, cette chose gracile et dure fabriquée par l’effort, par les coups hargneux dans les sacs de sable – cet exosquelette trafiqué par la haine. Elle pensa à Damien, qui seul l’avait comprise (ou du moins écoutée), était digne de confiance – elle le savait, en était sûre. Elle pensa à Damien qui l’avait repoussée, « Ne te crois pas tout permis, gamine, je n’ai pas peur de toi. » Elle pensa au visage du porc fixé par la graphite, peut-être photocopié, faxé, transféré, punaisé dans tous les commissariats de France te de Navarre, à son propre visage le jour de ses quinze ans, le bandeau qui grattait sur la chevelure rouge. »