Un thème apparemment peu folichon : une grève des ouvriers du bâtiment en 1950, à Brest. L'histoire (et l'Histoire) est en réalité bouleversante.
Suite aux bombardements de la Deuxième Guerre mondiale, la ville de Brest a besoin d'être reconstruite. Les travailleurs du bâtiment se mettent en grève, réclamant de meilleurs salaires. Ils sont vite rejoints par les dockers et les traminots. Les patrons refusent de céder et, le 17 avril 1950, une immense manifestation syndicale est organisée. L'altercation ouvriers/policiers est violente, un homme est tué : Edouard Mazé.
Le lendemain, René Vautier est chargé par la CGT de tourner un film relatant la motivation des grévistes, leurs conditions de travail et la ville de Brest en état de siège. René crée un film de 12 minutes, authentique et touchant, sans le son. Il choisira de lire le poème d'Eluard, "Un homme est mort" pendant la projection du film. Projection qui aura lieu toutes les nuits, sur tous les chantiers en grève de la ville.
Je vous retranscris ici le poème d'Eluard. René Vautier remplace simplement "Péri" par "Mazé".
Un homme est mort
Un homme est mort qui n’avait pour défense
Que ses bras ouverts à la vie
Un homme est mort qui n’avait d’autre route
Que celle où l’on hait les fusils
Un homme est mort qui continue la lutte
Contre la mort contre l’oubli.
Car tout ce qu’il voulait
Nous le voulions aussi
Nous le voulons aujourd’hui
Que le bonheur soit la lumière
Au fond des yeux au fond du coeur
Et la justice sur la terre.
Il y a des mots qui font vivre
Et ce sont des mots innocents
Le mot chaleur le mot confiance
Amour justice et le mot liberté
Le mot enfant et le mot gentillesse
Et certains noms de fleurs et certains noms de fruits
Le mot courage et le mot découvrir
Et le mot frère et le mot camarade
Et certains noms de pays de villages
Et certains noms de femmes et d’amis
Ajoutons-y Péri
Péri est mort pour ce qui nous fait vivre
Tutoyons-le sa poitrine est trouée
Mais grâce à lui nous nous connaissons mieux
Tutoyons-nous son espoir est vivant.
Le film et la bande sonore connaissent un vif succès auprès des Bretons. Un jour, Vautier, aphone, se voit remplacé par un « camarade » appelé P’tit Zef qui métamorphose les mots, leur donnant encore plus de rage et de vérité. Malheureusement, la pellicule du film est usée par les nombreux tournages qu’elle a subis.
Toute la grandeur de cet ouvrage réside dans son authenticité et son émotion. Les personnages ont en effet réellement existé. René Vautier vit encore et ne cesse de se battre pour dénoncer ce qui le révolte, avec sa seule caméra comme arme. Un homme est mort est sans doute le premier film militant français. La mort d’Edouard Mazé émut au-delà des limites partisanes et géographiques : des messages de soutien affluèrent de tout le pays, de Grande-Bretagne ou encore de Belgique.
La BD est suivie d’un dossier expliquant la réalité des faits mais aussi le travail de reportage et d’investigation menés par Kris et Davodeau, les auteurs ; et se termine par un remerciement de René Vautier : « Aujourd’hui, presque octogénaire, je vous remercie d’œuvrer pour transmettre les souvenirs des luttes passées dont la connaissance est nécessaire pour faire fleurir et vaincre les luttes présentes et à venir… »
C’est la deuxième BD de Davodeau que je lis ( la première : Chute de vélo d'Etienne Davodeau ).