Qu’est-ce qu’on a entendu parler de ce livre ! en bien, en mal… Mangeur de prix (notamment le Grand Prix du Roman de l’Académie française et le 25è Goncourt des Lycéens), ce gros roman de 667 pages a soulevé diverses émotions, positives et négatives.
Marcus Goldman, le narrateur, est un écrivain célèbre. Il a publié un seul livre qui a immédiatement connu un succès fulgurant, de ceux qui font passer à la télé et sortir avec la vedette de série télé du moment. Oui mais le problème, c’est que Marcus devrait écrire un second excellent roman, très attendu par son éditeur… et par les lecteurs. En panne d’inspiration, il se rend à Aurora, petite ville perdue dans le New Hampshire, pour y retrouver son ami et mentor de toujours, le professeur et écrivain, Harry Quebert. Ce dernier a toujours su prodiguer de bons conseils à son élève. Un roman, surtout, a marqué sa carrière finissante : Les Origines du mal, que toute l’Amérique a lu et relu.
Harry Quebert voit soudain sa vie basculer : on trouve, dans son jardin, le cadavre de Nola Kellergan, une jeune fille disparue à l'âge de 15 ans. Harry est assez naturellement accusé du meurtre, Marcus vient à son secours et commence son enquête, en parallèle à celle de la police. Il apprend très vite que Nola et Harry s’aimaient malgré une différence d’âge d’une vingtaine d’années. Marcus est persuadé que son ami est innocent. Harry lui raconte l’amour très fort qui le liait à la jeune femme. Elle venait quotidiennement chez lui, lui faisait à manger, leur dorlotait pour qu’il puisse écrire sereinement son grand livre.
Les apparences sont trompeuses, les personnages de grands menteurs et les cent dernières pages regorgent de rebondissements. Marcus est au centre, il est plus doué que la police, il fouine, interroge, guette.
Commençons par le positif : l’art de nous emmener dans cette petite ville d’Aurora, on s’y promène allègrement ; les personnages sont judicieusement dessinés, on a l’impression de les avoir croisés en fermant le livre. Ce que j’ai très particulièrement aimé, c’est cet effet poupées russes constant. Un écrivain qui parle d’écriture, un narrateur qui devient personnage et un auteur qui est personnage de son livre, voilà de quoi semer une joyeuse confusion et une douce réflexion sur l’écriture (pas révolutionnaire non plus, il faut bien l’admettre !). Chaque nouveau chapitre débute par un conseil du maître à l’élève, un conseil d’Harry à Marcus. Et l’ironie du sort a voulu que Joël Dicker connaisse le même succès que Marcus Goldman, il faut avouer que c’est assez drôle, on a parfois l’impression que Dicker nous explique comment il a fabriqué son livre à la manière d’un bricoleur nous montrant comment il a monté son meuble en kit…
Le négatif ? Oui, il y en a. Entre les pages 300 et 500, j’ai passé pas mal de temps à soupirer. Que de redites ! Quel style plat ! On a droit à quelques extraits du soi-disant chef-d’œuvre d’Harry Quebert, et là, on en reste comme deux ronds de flan : c’est d’une mièvrerie ! Même l’histoire d’amour entre Harry et Nola, qui aurait pu être touchante (très loin des prodigieux tourtereaux de Nabokov), n’est pas crédible, trop fausse, trop empruntée, trop puérile. Et là on est en droit de s’étonner de savoir l’Académie française plébisciter ce roman. Ce n’est pas un livre de qualité, non. Enfin, il y a la dimension policière. S’il faut admettre que les revirements de situation nous laissent pantois (je défie quiconque de deviner la fin avant l’heure), ces derniers sont aussi un peu tordus et embrouillés et il existe de nombreuses « coïncidences exceptionnelles » (je ne fais que citer le roman lui-même). Et un polar qui traîne de cette manière-là perd en efficacité.
Je l’ai quand même lu en entier, j’y ai parfois pris du plaisir, c’est une lecture facile, parfaite pour la plage, mais certainement pas un roman sublimissime, loin de là.
Jenny est serveuse au Clark’s, le bar qu’Harry (jeune) fréquente régulièrement. Elle se met à rêver qu’il en pince pour elle. Sa mère, Tamara, entre dans son jeu. Petite satire des Etats-Unis au passage…
« Tamara attrapa une boîte de fard et peinturlura le visage de sa fille, tout en rêvassant. Il écrivait un livre pour elle : bientôt, à New York, tout le monde parlerait du Clark’s et de Jenny. Il y aurait sans doute un film aussi. Quelle merveilleuse perspective ! Ce Quebert était l’exaucement de toutes ses prières : comme ils avaient bien fait d’être des bons chrétiens, les voilà récompensés. Elle réfléchissait à toute allure : il fallait absolument organiser une garden-party dimanche prochain pour officialiser la chose. Le délai était court mais le temps pressait : le samedi d’après, ce serait déjà le bal de l’été et toute la ville, médusée et envieuse, verrait sa Jenny au bras du grand écrivain. Il fallait donc que ses amies à elle voient sa fille et Harry ensemble avant le bal, pour que la rumeur fasse le tour d’Aurora et que, le soir du bal, ils soient l’attraction de la soirée. Ah, quel bonheur ! Elle s’était fait tellement de souci pour sa fille : elle aurait pu finir au bras d’un routier de passage. Pire : d’un socialiste. Pire : d’un nègre ! Elle frémit à cette pensée : sa Jenny et un affreux nègre. Soudain, une angoisse la saisit : beaucoup de grands écrivains étaient des Juifs. Et si Quebert était un Juif ? Quelle horreur ! Peut-être même un Juif socialiste ! Elle regretta que les Juifs puissent être blancs de peau parce que cela les rendait invisibles. Au moins, les Noirs avaient l’honnêteté d’être noirs, pour qu’on puisse les identifier clairement. Mais les Juifs étaient sournois. Elle ressentit des crampes dans son ventre : son estomac se nouait. Depuis l’Affaire Rosenberg, elle avait une grande peur des Juifs. Ils avaient tout de même livré la bombe atomique aux Soviets. Comment savoir si Quebert était juif ? Elle eut soudain une idée. Elle regarda sa montre : elle avait juste le temps d’aller au magasin général avant qu’il n’arrive. Et elle s’empressa de faire l’aller-retour. »