Vicente vit depuis plus de douze ans en Argentine. Polonais, il a voulu vivre ailleurs, a rencontré l’amour de sa vie, Rosita, avec qui il a eu trois enfants. Gérant d’un petit commerce de meubles, il aime retrouver régulièrement ses amis Ariel et Sammy avec qui il évoque l’actualité de plus en plus houleuse en ces années 1940-41. La mère de Vicente est restée en Pologne, il sait qu’elle est recluse dans un ghetto juif, quelques lettres lui parviennent - toujours avec un grand retard – et il ne peut que deviner une situation qui ne va pas en s’arrangeant. Alors il se mure dans le silence, avec sa femme, avec ses enfants, avec ses amis. Il ne veut pas savoir ce qui se passe en Europe, il perd peu à peu le contact avec ceux qui l’entourent alors que Rosita aimerait retrouver celui qu’elle a tant aimé à leur rencontre.
Ce petit roman est une belle illustration de ce qu’était la guerre… à douze mille kilomètres de l’épicentre. Et aussi un formidable cri de révolte par rapport à cette identité juive pas nécessairement assumée, pas nécessairement comprise ni revendiquée, par rapport à cette impuissance douloureuse qui s’exprime, chez le narrateur par le silence. Le titre de Vercors, Le Silence de la mer, dans un autre contexte, fait écho à ces non-dits révélateurs, à cette parole hurlée en silence, à cette incapacité de mettre des mots sur l’horreur. Vicente croit que s’il cesse de parler, il cessera aussi de penser mais il se trompe et son choix est remis en question à la fin du livre. Ce roman-claque expose les dommages collatéraux de cette Shoah immonde tout en racontant une famille au bord de l’implosion. J’adore ce titre polysémique et je reste persuadée qu’il faut se souvenir de cette période abjecte qui a fait tant de mal de près ou de loin.
« Être juif, pour lui, n’avait jamais été si important. Et pourtant, être juif, soudain, était devenu la seule chose qui importait. « Mais pourquoi je suis juif ? Pourquoi, aujourd’hui, je ne suis que ça ? Pourquoi je ne peux pas être juif et continuer d’être tout ce que j’étais auparavant ? »
« Se taire. Oui, se taire. Ne plus savoir ce que parler veut dire. Ce que dire veut dire. Ce qu’un mot désigne, ce qu’un nom nomme. Oublier que les mots, parfois, forment des phrases. »