En Algérie, dans les montagnes, Vendredi joue avec son père adoré. Elle prend l’habitude de fuir cette mère qui la déteste et recherche insolemment le réconfort auprès de son père qui lui cède tous les caprices … jusqu’au jour où il se fait sauvagement assassiner. La mère n’a qu’une hâte : se débarrasser au plus vite de cette fille encombrante qu’elle marie au premier venu qui emmène Vendredi en France. Là-bas, dans l’impasse Verlaine, Vendredi se pâme devant le carrelage blanc, le chauffage central et l’évier en aluminium. Elle tente de se glisser dans cet univers de Blancs, va faire des enfants avec son incapable de mari. Sa fille, la narratrice, dès son plus jeune âge, va devenir le nègre de sa mère, la seule sachant lire et écrire dans la famille. En constant rejet de celle qui ne lui exprime aucune affection mais qu’elle se doit d’obéir, elle va grandir malgré les coups et les interdictions et trouve un réconfort dans la littérature.
Entre amour et haine pour une mère qui ne s’exprime qu’avec des coups, la narratrice trace sa route, lutte contre les moqueries et les préjugés, apprend à vivre avec cette situation d’apatride. Pendant « cette saleté de puberté », elle sera encore plus surveillée par cette mère traumatisante. Ce qui la sauve ? Les écrivains russes, une adorable infirmière, une amie et un concours d’écriture. Je résume mal ce très beau roman et ne rends pas suffisamment justice au talent de cette jeune autrice qui publie là son premier livre. Avec sobriété, elle mêle élégance et humour et prouve noir sur blanc que le pouvoir des mots est plus fort que la violence. La retenue poétique dont elle use est vraiment touchante et l’hommage à ces souvenirs qu’elle ne renie pas mais où elle puise une belle énergie force le respect. Oui, je retiendrai surtout l’image de cette battante de fille, portée par les mots, bousculée par ce contexte familial difficile, qui s’en sort la tête haute. Un très beau roman.
L’école : « Quand j’y vais, j’ai envie de voler au-dessus du monde pour apercevoir les rêves qui traînent par terre. Quand j’y vais, j’ai le coeur poétique et lyrique, je me fiche des moqueries et j’aime le mélodrame. Je cherche la sensiblerie, je veux m’émouvoir d’être vivante pour ne pas oublier que je vis. »
« Je hais Vendredi parce que cela m’est insupportable, à la fin, de ne pas être aimée. »
La fille quitte enfin sa famille : « Je crois que le monde est bon et prévoit mon arrivée, j’ai l’illusion qu’en dehors de l’impasse la justice et la République font leur boulot et me réservent le meilleur du miel humaniste. En sus, je compte bien obtenir un remboursement parce que cela fait dix-huit ans et demi que je fais crédit à l’existence. Assise dans la Renault, j’’abandonne ma sœur car le malheur est un égoïsme imbécile qui n’envisage pas d’être partagé. »