En été 1992, à Heillange, dans l’est de la France, Anthony et son cousin tuent le temps comme ils peuvent. Anthony a 14 ans ; la poitrine et la queue-de-cheval sexy de Steph l’attirent, il essaye de l’approcher mais se heurte à sa propre timidité, à l’arrogance de la belle, au qu’en-dira-t-on. Un soir, pour rejoindre une soirée sans parents, il pique la bécane de son père, celle qu’il n’utilise jamais. Mais, alors qu’il fume et s’enivre, Hacine, un petit caïd qui doit se faire un nom, vole l’engin. Dans ce microcosme où Paris fait rêver, où les parents perdent leur boulot ou divorcent après la fermeture des hauts-fourneaux, les grands enfants se dépatouillent comme ils peuvent en découvrant alcool, sexe et drogue. Deux ans plus tard, toujours en été, sur l’air de « You could be mine », Anthony a grandi et un peu mûri. Grâce à Vanessa, le sexe n’a plus que très peu de secrets pour lui mais il convoite encore Steph en secret. Hacine, lui, a fait une virée très productive au Maroc, et revient avec une Volvo remplie de barres de shit. Les années s’écoulent et après 94, on se retrouve en 96 puis en 98 lors de ces quelques jours enchanteurs qui ont bouleversé le pays entier, la Coupe du monde et la victoire de la France contre la Croatie. Les choses ont bougé mais finalement peu changé, comme si une malédiction pesait sur cette petite ville, qu’on se refilerait de père en fils, de mère en fille. Peu s’en sortent et réussissent.
Il m’a bien fallu une cinquantaine de pages pour apprécier à la fois l’histoire, l’univers et les personnages. Si on se limite aux beuveries, fumettes, tentatives de drague d’ados de 14 ans, on risque de dépérir à force de soupirer. Et pourtant, l’auteur réussit, par un exploit assez extraordinaire, à rendre cet univers plutôt navrant, ces personnages un peu agaçants et platement ordinaires tout à fait attachants et passionnants ! Mon engouement grandissait à mesure que je tournais les pages et j’en aurais bien rajouté une centaine ! Nicolas Mathieu avait 14 ans en 1992 comme Anthony, un de personnages principaux… et il se trouve que j’ai le même âge. Alors les balades à biclou (je n’avais plus entendu ce mot depuis des décennies !), les pulls Waïkiki, les baskets Torsion, Miguel Indurain, la Coup du Monde de 98, tout ça fait bien plus que me parler, c’était mon adolescence avec ce qu’elle comportait de rêves, de complexes, d’affranchissements, de doutes et d’espoirs. Entre un foisonnement à la Zola et un réalisme social façon frères Dardenne, le roman dissèque de manière très juste un monde resté clos où les ados semblent perdus entre l’enfance et l’adolescence dans une jungle âpre et sans concession où les adultes, encore plus paumés, ne sont plus des repères. Il se trouve que j’ai regardé la série Aux animaux la guerre diffusée sur France 3 à la même période que la lecture de ce roman et j’ai retrouvé les mêmes ingrédients chers à l’auteur, cette volonté de se sortir d’un bourbier par n’importe quel moyen, les malchances, les déviances, le réalisme fouillé et juste, les personnages brillamment dessinés. Attention, je suis en passe de devenir fan !
Pour sa perspicacité, ce pessimisme révélateur d’une génération et d’une région, la tendresse insufflée aux personnages, ce roman mérite amplement le prix Goncourt. J’en fais un coup de cœur.
Merci à Tiphanie pour ce prêt –je suis jalouse de la dédicace !!!
Le choc de l’adolescence : « Il courut comme ça un moment, mais il ne savait pas où aller et n’avait pas l’intention de rentrer. Il en voulait à la terre entière. Il n’y a pas si longtemps, il lui suffisait de se taper des popcorn devant un bon film pour être content. La vie se justifiait toute seule alors, dans son recommencement même. Il se levait le matin, allait au bahut, il y avait le rythme des cours, les copains, tout s’enchaînait avec déconcertante facilité, la détresse maximale advenant quand tombait une interro surprise. Et puis maintenant, ça, ce sentiment de boue, cette prison des jours. »