Ce court roman a obtenu le Prix Orange 2018, et c’est une bonne nouvelle car il le mérite amplement.
Salomon est maintenant un vieil homme, veuf, dans son lit, une nuit, il se remémore son passé, ces fêtes pascales juives de Seder qui ont rythmé sa vie, son passage à Auschwitz qui ne le cesse de le hanter, le grand amour de sa vie, Sarah, décédée deux mois plus tôt et son humour noir qu’elle redoutait tant. Sarah et Salomon ont eu deux filles désormais adultes. Le patriarche souhaiterait, en ce matin de Pessah, offrir une fête digne de ce nom à sa famille mais sans Sarah, est-ce encore possible ?
Ce récit mêle l’humour et une grande tendresse. Les deux pieds dans les traditions juives tellement omniprésentes, Salomon se dépatouille comme il peut avec ce passé de l’horreur. Il ne raconte pas la Shoah mais la glisse au détour d’une conversation, la place là où on ne l’attend pas, dans une pique, une blague, un jeu de mots sordide. Cet esprit sarcastique cache une grande douceur et un amour immense qu’il réserve à sa femme. Une réflexion sur la famille, très juste, sort des sentiers battus, et parle au lecteur, inévitablement. Le texte est bien écrit, subtil, puissant, instructif pour moi qui ne connais rien aux traditions juives. Il a vraiment ce petit-quelque-chose qui nous embarque tout de suite dans son univers, une originalité élégante qu’il faut absolument goûter.
Quelques blagues concentrationnaires très particulières : lorsque ses filles étaient petites, Salomon leur avait gagné deux poissons rouges à une fête foraine. Il a appelé l’un Goebbels, l’autre Goering… A la mort de Goebbels, le papa de la fillette a été convoqué par la maîtresse parce que l’élève remplissait son cahier de «Goebbels» entouré de cœurs…
Tania, la petite-fille de Salomon a été vue donnant la main à un Allemand : « Mais regardez, il ne manque qu’une Totenkopf et on s'y croirait. La réconciliation franco-allemande a de grands jours devant elle ! Que c'est beau de pouvoir se balader avec un Schleu sans être inquiétée, ma petite Tania, c'est ça l'Europe. Des nazis écolos ! Si j'avais pu dire à tous ces Fritz qu'un jour ma petite-fille sortirait avec leur progéniture, vous imaginez ? Rudolf Höss, ne me douchez pas, il y a une vidéo de Tania qui tient la main d'un beau SS ! Je vous pro-mets. »