En 1935, Edmond Charlot, à 20 ans, réalise un rêve un peu dingue, celui d’ouvrir une petite librairie rue Charras à Alger. Elle sera aussi bibliothèque et maison d’édition. Avec peu de sous mais beaucoup d’énergie et quelques amis, il va permettre à certains noms tels que Camus, Amrouche, Jules Roy, Vercors, Feraoun ou encore Saint-Exupéry de démarrer, de se faire connaître ou d’affirmer leur talent. Baptisée Les Vraies Richesses en hommage à Giono, la petite bicoque va connaître des hauts et des bas, être malmenée par la deuxième guerre mondiale, des pénuries de papier ou encore les conflits de 1954 à 62. En 2017, Ryad vient faire un pseudo stage à Alger : il s’agit de vider cette vieille petite librairie, de bazarder tout son contenu et de rapidement remettre un coup de peinture aux murs. On projette d’y vendre des beignets ! Ryad n’aime pas lire, les étagères emplies de livres ont même tendance à lui faire peur. L’auteur, par l’intermédiaire des carnets d’Edmond Charlot, déroule pour nous le fil chronologique qui part d’un enthousiasme pur et sincère en 1935 pour finir sur une ambiance morne d’une bibliothèque-librairie en train de mourir mais toujours aimée par les habitants du quartier.
Mon bilan tendrait plutôt à une légère déception. J’ai adoré le début du roman et son atmosphère maghrébine qui, grâce au « nous » qu’utilise l’auteur, nous inclut dans le voyage comme un guide le ferait (voir l’incipit ci-dessous). Les premiers pas titubants et maladroits du libraire Charlot sont tout aussi touchants et enchanteurs, surtout lorsqu’il côtoie des célébrités en devenir. Ces pages proches de l’univers du conte contrastent avec le carnet intime (fictif) de Charlot : dans un style lapidaire, il nous informe des faits, des problèmes, des rencontres du personnage. C’est la concision qui m’a dérangée, j’aurais aimé en savoir plus, j’aurais aimé que l’auteur approfondisse encore la vie de ce personnage hors du commun, quitte à laisser une moindre place à ce Ryad qui ne m’a pas vraiment plu. Pour finir par deux notes positives, je crois que l’image de ce petit endroit qui a eu tant de répercussions culturelles dans le monde entier va vraiment rester gravé dans mes souvenirs (et Kaouther Adimi a donc réussi son défi !) et ce livre m’a donné très envie de (re)lire Camus, Giono et certains auteurs maghrébins que j’ai si bien connus quand j’étais plus jeune (Taos Amrouche, Assia Djebar, Rachid Boudejra, Kateb Yacine, …)
Est-ce que ça existe encore « …quelques ouvriers qui économisent pour acquérir un roman » ?
L’incipit : « Dès votre arrivée à Alger, il vous faudra prendre les rues en pente, les monter puis les descendre. Vous tomberez sur Didouche-Mourad, traversée par de nombreuses ruelles comme par une centaine d’histoires, à quelques pas d’un pont que se partagent suicidés et amoureux. »
« 21 octobre 1943
Emmanuel sort à l’instant des Vraies Richesses. Il a collecté tout le papier qu’il a pu trouver de toutes les couleurs et de tous les styles possibles. Il en a assez pour titrer 20000 exemplaires du Silence de la mer ! Ce sera un tirage multicolore sur papier ver, jaune, rose… mais ce sera lisible ! Nous lançons immédiatement l’impression.
31 octobre 1943
En une semaine, plus un exemplaire du livre de Vercors à Alger ! Les rayons sont vides. Tout le monde en parle. Il paraît que l’armée libre parachute le texte sur la France occupée. Résistance ! »