
« Un frère » n’est pas un frère parmi tant d’autres mais celui que le narrateur et auteur a perdu, Edouard, son grand frère atteint de schizophrénie. C’est peu après ses cinquante ans qu’il a découvert son corps inerte dans son appartement parisien. L’auteur revient sur cette maladie sournoise et insidieuse, sur les traitements pris par intermittence, sur les séjours dans différentes cliniques (certaines débilitantes, d’autres humaines), sur la souffrance d’Edouard mais aussi sur celle de ses parents et de ses deux frères, sur la consommation trop fréquente de cannabis, d’alcool, de cigarettes, sur une impossible histoire d’amour, sur les insomnies d’Edouard, sur son incapacité lors des dernières années à avoir une vie sociale et professionnelle. Pour son entourage, ce sont les colères au téléphone, les attentions au quotidien pour ranger un appartement dévasté, donner un argent dépensé à tort et à travers, une vigilance inquiète de tous les instants.
Il est difficile d’émettre un avis sur ce livre tant il touche à l’intime de l’auteur. Il explique de nombreuses fois qu’il lui a été très difficile de rédiger ces pages mais qu’il en avait besoin ; il use de la prétérition : écrire pour dire qu’on n’écrit plus... et le répéter. C’est certes un très bel hommage rendu à ce frère différent mais j’avais l’impression d’assister à une réunion de famille qui n’était pas la mienne, d’écouter aux portes et d’être une intruse. Il n’était pas inintéressant d’en apprendre un peu plus sur cette « maladie opaque » qu’est la schizophrénie même si ce n’était pas l’objectif annoncé de David Thomas. J’ai trouvé l’écriture assez froide au début, elle a gagné en profondeur et en sensibilité dans la seconde partie, lorsque l’auteur mêle l’idée qu’il se fait de son frère à celui d’un poème. Plus on avance, plus les souvenirs tendent vers le joyeux et même l’admiration. J’ai aussi apprécié la notion de folie qui est décortiquée pour admettre qu’il est complètement romanesque d’associer la folie à une forme de génie ou de sagesse, qu’elle est toujours liée à la souffrance. Pour clore ce billet maladroit et brouillon, je dirais que le bilan est mitigé et partagé, je crois que vous l’aurez compris ; certains passages m’ont émue mais pas au point de fondre en larmes et je remercie l’auteur de ne pas avoir versé dans le pathos excessif car j’ai horreur de ça. C’est donc plutôt positif 😊
« Pendant les huit mois qui ont précédé le décès de mon frère, je ne l'ai vu qu'une seule fois, à peine deux minutes. Je ne pouvais plus. Edouard avait sombré dans un tel état d'agressivité et de paranoïa qu'il m’était impossible de l'approcher. Durant cette période, il s'était enfermé dans un ressentiment à l'égard de sa famille qui semblait se nourrir tout seul. Quoi que nous disions, quoi que nous répondions, il galopait dans un discours totalement hermétique au dialogue. Il nous menaçait de procès, nous invectivait au téléphone, nous envoyait des mails insultants, nous ordonnait de le rappeler dans la minute. »
« C’est la folie, disait-on, quand son poing brisait les bois des tables. Mais ce n’était pas la folie, c’était le combat. Et plus il voyait la défaite poindre, plus il résistait, et plus, debout, il baissait la garde, défiant la tyrannie en lui exposant son visage pour l’inviter à cogner de plus belle. »
Le roman a fait partie de la première liste des romans sélectionnés pour le Prix Goncourt (pas de la deuxième...)
