Delphine de Vigan nous livre une grande partie de sa vie. C’est le suicide de sa mère qui a été pour elle l’élément déclencheur et le point de départ de l’écriture de ce livre autobiographique. Elle tente d’expliquer le geste de sa mère et pour cela, entreprend de raconter la vie de celle qu’elle n’appelle pas « maman » mais « Lucile ».
Zoom sur la vie foisonnante des grands-parents maternels de l’écrivain, Liane et Georges. Une famille extensible à souhait puisqu’elle est allée jusqu’à contenir une douzaine de membres. Des enfants, des enfants, et encore des enfants. Lucile se démarque de ses frères et sœurs par sa réserve mais aussi par sa grande beauté qu’elle voit plutôt comme un obstacle qu’un avantage. Son souhait le plus cher, d’ailleurs, est d’être invisible, ne pas capter l’attention des autres : « Lucile se demandait si un jour […], elle deviendrait une vieille dame rabougrie et voûtée, qui échapperait au regard. Ainsi serait-elle enfin libre d’aller et venir, infiniment légère, et presque transparente. Ainsi n’aurait-elle plus peur, plus peur de rien. »
Des drames et des tragédies marquent cette famille pourtant douée pour le bonheur et la gaité. C’est le petit frère Antonin qui meurt tragiquement d’abord, tombé au fond d’un puits. Jean-Marc le « remplacera » (c’est dit ainsi dans le livre), un gamin adopté à sept ans. Il se fond dans l’univers familial mais meurt étouffé dans un sac plastique. Il ne sera pas évident de savoir s’il y avait suicide ou pas. Malgré tout, cet essaim continue de bourdonner, il faut dire que la matriarche, Liane, est surprenante d’énergie, de joie de vivre et d’optimisme. C’est le personnage coup de cœur du livre, pour ma part.
En plus des drames qu’on ne pouvait éviter, se glisse un serpent noir et malsain, celui du doute. Un doute qui plane sur les relations ambiguës qu’a pu avoir Georges avec Lucile mais aussi avec d’autres jeunes filles de l’entourage familial. Mais on a posé le couvercle des apparences sur les révélations qu’a osé faire Lucile déjà adulte. Sans le dire directement, l’écrivain explique le comportement de sa mère. Et bon sang ce qu’elle en a bavé avec ou à cause d’elle à l’adolescence. Folie, dépression, bipolarité, on comprend que Delphine et sa sœur Manon ont dû s’élever toutes seules, privées de la tendresse, de la protection d’une mère.
On tire les leçons qu’on veut de ce livre, c’est toujours en rapportant les récits de ses proches qui ont bien voulu jouer le jeu, que le fil se déroule petit à petit. Comme les êtres qui ont eu un passé douloureux, une immense fragilité côtoie une force contagieuse. Alors que sa vie d’enfant, d’adolescente, de jeune adulte n’est que désordre, bohême et liberté, la narratrice ne rêve que d’une « vie cadrée, confinée, réglée comme le papier millimétré qui accueillait les errements de mes exercices de géométrie ».
Je n’ai eu qu’un souhait après cette lecture : que Delphine de Vigan puisse trouver apaisement et sérénité après cette œuvre thérapeutique.
J’ai eu la chance de lire successivement deux romans que j’ai considérés comme excellents. Pour des raisons totalement différentes. Chez Sylvie Germain, c’est l’érudition, la beauté du style, le travail sur le langage qui détonent. A tel point qu’à chaque phrase lue, on peut lâcher un « whaouh » admiratif. Chez De Vigan, tout est plus simple et plus naturel, c’est un voile qu’on soulève doucement pour faire apparaître un trésor, un trésor vivant et réel. On se laisse glisser dans ce livre avec une facilité réconfortante, comme on entrerait dans un bain à température idéale.
« L’écriture ne peut rien. Tout au plus permet-elle de poser les questions et d’interroger la mémoire »
« Je n’ai interrogé aucun des hommes qui ont partagé la vie de Lucile et, à la réflexion, il me semble que c’est aussi bien. Je ne veux pas savoir quelle épouse ni quelle amante Lucile a été. Cela ne me regarde pas.
J’écris Lucile avec mes yeux d’enfant grandie trop vite, j’écris ce mystère qu’elle a toujours été pour moi, à la fois si présente et si lointaine, elle qui, lorsque j’ai eu dix ans, ne m’a plus jamais pris dans ses bras. »
J’avais déjà apprécié No et moi du même auteur.
