J’avais adoré Persépolis (lu et vu). Il me tardait de découvrir Poulet aux prunes dont on a entendu parler ces derniers temps puisqu’on en a fait un film, sorti fin octobre 2011..
C’est l’histoire de Nasser Ali Khan, musicien iranien qui, du jour au lendemain, décide de mourir. Il veut mourir. D’abord, on croit que c’est à cause de son instrument de musique, le tar, que son épouse a brisé lors d’une dispute. Il désespère de n’en plus trouver un aussi bon. Puis, on comprend que son mal-être ne vient pas uniquement de son instrument de musique. Il a raté sa vie, il est passé à côté de son amour de jeunesse, s’est marié avec une femme qu’il n’aime pas et se trouve maintenant entouré d’enfants dans lesquels il ne se reconnaît pas.
C’est le compte à rebours de ses derniers jours de vie. Il reste alité, se souvient de ses moment de bonheur, de ses erreurs ; il reçoit la visite de ses enfants, de son frère. Tout ça paraît triste mais Satrapi a le don de balancer d’une case à l’autre d’un ton dramatique à un humour léger, un ton moqueur.
Quant au noir et blanc qui parfois me dérange dans d’autres albums, il m’a fait penser ici au trait de khôl qui entoure le blanc de l’œil, et puis, c’est drôle, on a l’impression de deviner les couleurs derrières cette bicoloration (ça se dit, ça ? ?), l’effet obtenu n’est pas terne.
Et il y a cet ange de la mort, Azraël, qui vient discuter avec Nasser Ali Khan. Il apparaît comme un être aux prises avec une force supérieure à qui il obéit. Loin d’être démoniaque, il se veut rassurant, presque protecteur.
Je ne sais pas si l’auteur l’a voulu ainsi, mais le personnage de Nasser Ali Khan engendre des réactions contradictoires chez le lecteur : il peut soit s’apitoyer sur son sort, en effet, Nasser n’a pas eu de chance, soit se révolter contre ce personnage inerte qui est tout l’inverse d’un battant. On voit ses enfants évoluer autour de lui et plutôt que d’y chercher un espoir, une envie de vivre, une seconde chance, il se laisse aller, les ignore et se tourne une énième fois… vers son petit nombril. Je ne vais pas dire que cet égocentrisme est typiquement masculin mais j’avais déjà rencontré ce genre de personnage dans une pièce de théâtre, L’Aquarium.
Dernier point : l’Iran. Satrapi nous en montre un visage des années 50 mais aussi, par de brefs retours en arrière, un pan des années 30 où le port du voile était interdit. Un Iran très proche de nous finalement.
Je ne résiste pas à l’envie de vous rapporter l’histoire de l’éléphant racontée par un poète iranien, Rûmi :
« il y a cinq types qui se retrouvent dans une étable obscure dans laquelle il y a un éléphant… Aucun d’eux n’a jamais vu cet animal. Ils décident donc de le toucher afin de définir sa forme… au bout d’une heure d’inspection :
- C’est un énorme tuyau.
- Mais non ! ça ressemble à un grand éventail !
- Vous vous trompez tous les deux ! c’est une colonne.
- Oh non ! les colonnes il y a en a quatre, je les ai comptées.
- Pfff ! vous êtes tous dupes !!! c’est un siège.
Puis soudain, on alluma les chandelles et les cinq hommes virent l’éléphant en entier. Chacun d’eux avait donné son interprétation de l’animal selon ce qu’il avait touché. La vie est pareille. Nous donnons un sens à la vie d’après notre point de vue. Seule la sagesse, comme la lumière de la chandelle, peut nous apporter une vision globale de l’existence. La clef de la sagesse est le doute ! »
N’oublions pas le Roaarrr Challenge de Mo’ : cette BD a obtenu le Fauve d’Or du meilleur album en 2005 (ça étonne quelqu’un ?)
