
Je ne souhaitais plus lire Sandrine Collette, ou en tous cas faire une pause, pensant avoir fait le tour de la question mais je me suis laissée convaincre par tous les avis positifs entendus et lus. J’ai bien fait !
Les Montées, un hameau perdu au cœur d’une nature rude et ingrate, confronté à un climat âpre. Dans l’une des petites maisons en pierres jaunes vivent Rose, une vieille dame qui soigne avec les plantes, et Bran, le narrateur de la première partie du récit. Ils côtoient Ambre et Aelis, deux jumelles qui se sont mariées, la première avec un ivrogne, la deuxième avec Eugène avec qui elle a eu trois garçons. Un jour, une petite bête à peine plus grosse qu’un chat est retrouvée tapie dans la maison de Rose. C’est une petite fille sauvage que Rose va confier à Ambre. Madelaine va grandir avec les garçons ; robuste, vive, courageuse, c’est souvent elle qui va oser, qui va travailler plus que les autres, qui va se lever avant l’aube pour affronter le pire. Car le pire arrive, la famine, les grands froids, le dénuement le plus total puis la mort pour les plus malchanceux d’entre eux.
Comme souvent -toujours ?- chez Collette, c’est très sombre, ténébreux et puissant. Une grande force se dégage de ces quelques habitants sur lesquels le sort s’acharne en continu. Mais dans ce contexte moyenâgeux (aucun indice ne permet de dater l’histoire), le lecteur se surprend à s’attacher aux personnages. En dehors d’un rythme lent et répétitif mimant les habitudes de travail de ces paysans et ces rituels de vie sont d’ailleurs fièrement défendus par une langue poétique et savoureuse où l’autrice donne le meilleur d’elle-même, des surprises dans la narration agrémentent la lecture, savamment glissées dans le roman. J’ai vraiment beaucoup aimé ce récit, impeccable dans son genre : quand on pense que Collette va sombrer dans la tentation du cliché, hop, elle se rattrape pour nous offrir quelque chose de plus nuancé et de plus juste. Elle raconte excellemment la pauvreté et le désir de survie. L’ensemble est vraiment très beau et mérite tout à fait ses nombreux prix (tout un tas de prix Goncourt : celui des lycéens, mais aussi celui de la Suisse, de l’Autriche, de l’Italie, des détenus... et j’en passe).
« Je l'ai dit, nous sommes restés plutôt petits. C'est ainsi que l'on survit dans les conditions extrêmes : les êtres les plus grands, qui ont des besoins en nourriture et en chaleur bien plus importants, sont les premiers à mourir. Les plus modestes, tels que nous - rachitiques, minuscules, fripés - les plus sobres dans la place qu'ils prennent à l'univers résistent. La nature quand elle crée des situations difficiles ne sauve ni les plus beaux ni les plus imposants ; elle préserve les plus forts, et les plus forts sont ceux qui ont le moins d'exigence. Madelaine et moi sommes de ceux-là. Nous souffrons du froid et pourtant moins que les autres, nous souffrons de la faim cependant elle ne nous empêche pas, nos corps sont coutumiers, sont des citadelles imprenables, nos têtes sont des têtes brûlées. Et même si tout le monde a oublié que Madelaine n'est pas la vraie fille d'Ambre, parce qu'elles ont cette beauté saisissante toutes les deux, je vois ce qui les distingue et qui les sépare. Ambre est absolument mais seulement belle. Chez Madelaine, il y a en plus une dureté insaisissable. Ambre est une pierre qui peut s'abîmer, s'effriter, se casser ; Madeleine, un diamant que rien n'en taille. »
D'autres Collette : Ces orages-là, Les larmes noires sur la terre (mon préféré), Et toujours les forêts, On était des loups, Animal, Un vent de cendres, Six fourmis blanches
