
Après avoir lu un slogan qui se mit à l’obséder, « Deux amnésies errent en nous : l’origine et l’enfance. » (de Pascal Quignard), Marguerite n’avait plus qu’une idée en tête : devenir mère. Mais sans rapport sexuel, le test de grossesse n’indiqua aucun miracle. Une chimère à trois têtes, en revanche, vint lui rendre visite et lui apporter quelques conseils : « Tu n’es pas la première à vouloir faire un enfant toute seule. (...) La semence dont tu as besoin existe hors de l’homme. » Marguerite partit donc en Forêt Noire, accompagnée de la lune pour guide. Elle accepta de glisser entre ses jambes tout ce qu’elle trouvait mais ce n’est qu’avec un gros poisson que son vœu se réalisa. Et, après une grossesse qui l’emplit de bonheur, elle accoucha seule d’une petite Daisy. Mais le bébé était un être bien singulier qui dépérissait au fil des années.
Quel texte étrange et perturbant ! Derrière ses allures de conte, ce court roman de même pas cent pages s’imprègne si profondément de la nature qu’il flirte avec la zoophilie et l’anthropophagie. Deux mots qui peuvent effrayer et pourtant, c’est une grande sensualité qui se dégage de ce personnage féminin totalement enraciné dans les éléments naturels, rapidement rejoint par une autre fille, Daisy, qui n’a rien à voir avec sa mère. De la belle osmose du départ entre les deux êtres, il ne reste qu’une grande incompréhension et des divergences sur la façon d’aborder la vie. Faut-il voir dans ce récit surréaliste une métaphore de l’attachement mère-fille ? Une ode à la nature qui est tour à tour complice et ennemie ? L’écriture, sensorielle, charnelle et également très belle rend la lecture du roman fluide et limpide. Malgré le trouble que les mots peuvent susciter dans cet univers ô combien fantasmagorique, j’ai été happée par ma lecture. Le magnifique objet-livre est illustré par Lola B. Deswarte dont les dessins ont su se fondre dans l’onirisme et les extravagances du texte de l’autrice.
Merci à Justine pour cette singulière découverte.
Une fois Daisy plus grande, Marguerite a perdu la lune de vue, elle la cherche éperdument, offrant sa prière à une Madone dans un monastère inhabité : « Sainte de ces bois pleine de grâce puisque le Ciel a décidé de vous bénir vous entre toutes les femmes – sans trop se soucier de ce que cela ferait à moi et à toutes les autres, mais admettons que vous le méritiez plus que nous – dites-Lui bien, vous qui avez la chance de pouvoir requérir son attention, que le fruit de mes entrailles a besoin de protection. Et moi aussi. J’implore le Ciel de convoquer la lune à mes côtés. »
