Tout juste après la Seconde guerre mondiale, à l’heure où la Grande-Bretagne souffre encore de privations, Robert, seize ans, décide de prendre la poudre d’escampette, comme Rimbaud, les poings dans ses poches crevées, sans trop savoir où aller à part rejoindre la mer et fuir son chemin tout tracé qui devrait le mener à un travail dans la mine. Détestant l’école, il découvre la nature, les petits travaux manuels d’une ferme à l’autre, les nuits à la belle étoile ou dans des granges au milieu d’animaux. Au détour d’un sentier, il tombe sur une maison isolée et rencontre Dulcie, femme au fort caractère et à la langue bien pendue qui, accompagnée de son berger allemand, invite Robert à dîner. Après le meilleur repas de sa vie, une conversation riche avec une femme excentrique mais généreuse, Robert propose son aide pour débroussailler et nettoyer le jardin. Il va rester plus longtemps que prévu et découvrir quelques secrets de Dulcie.
D’une infinie délicatesse, à la fois suranné et vivifiant, ce roman d’apprentissage se veut aussi ode à la liberté d’être ce qu’on veut sans se préoccuper des qu’en-dira-t-on et de la bienséance. Une rencontre qui change une vie, voilà ce qu’a eu la chance de connaître ce jeune homme grandi au contact de cette femme qui lui a appris à sortir d’un carcan moralisateur et d’une mentalité étriquée. Il découvre les bons vins et la littérature en même temps, les homards et la poésie qu’il apprivoise doucement. Et il va même pouvoir, à son tour, faire avancer cette femme qui semble déjà en savoir tellement sur la vie. C’est à la fois suave et empreint d’humour, doux et d’un flegme tout britannique. J’ai beaucoup aimé cette lecture où les poèmes se font une place dans le récit – elle m’a fait rêver - à situer quelque part entre Le Grand Meaulnes et un roman de Jane Austen.
Rien n'est dû au hasard : l'auteur est aussi poète et vit dans le Yorkshire.
Je dois ce titre à Antigone, merci ! Et comme elle, je fais de cette lecture un coup de coeur.
« Une journée ici, une journée plus loin, en me calant sur le soleil et en me reposant quand venait l’heure. Enfin j’avais brisé le joug du tic-tac oppressant de l’horloge de la salle de classe, celle dans les aiguilles me torturaient en avançant au ralenti, et il était même arrivé qu’elles restent bloquées, une minute devenait alors une éternité tandis qu’autour de moi mes camarades n’avaient pas l’air de comprendre que tout conspirait à nus enchaîner, à nous enfermer dans une prison perpétuelle. »
« Le sentier prenait fin sur le flanc de la maisonnette, stoppé dans son élan par une jungle de ronces. Devant, un jardin avec une petite terrasse aux pavés lézardés, de la pelouse et un potager bordé d'herbe, le tout contenu par une clôture en bois qui ne tenait plus droit et dont la peinture blanche, vieillissante, était cloquée, écaillée et décapée par les embruns. »
A vivre dans la nature : « j'étais devenu partie intégrante de mon environnement, absorbé au point de distinguer le bruissement des fourmis au sol, le crépitement des ailes de chaque mouche ou le bruit de mastication d'une guêpe qui grignotait un morceau de bois pourrissant en dehors de mon champ de vision. Inspirant à pleins poumons, j'ai senti l'herbe, l'ail, la prairie et le pollen porté par l'air, ainsi que l'odeur caractéristique de la marée. Un festin pour les sens. »
