
J’avais déjà lu le beau roman Les étoiles s’éteignent à l’aube du même auteur. Il me tardait d’en découvrir davantage de cet écrivain indigène canadien.
Saul est un Indien de la tribu Ojibwé. Enfant, il a été élevé dans les traditions amérindiennes, entre légendes, pêche et culture du riz. Puis, il a tout perdu : sœur et frère ont été kidnappés par les Blancs, ses parents sont partis sans plus jamais revenir, sa grand-mère est morte d’épuisement et de faim à vouloir le sauver, lui. Le petit garçon a donc été placé, à sept ans, dans une pension, St. Jerome’s. Là, c’est l’enfer : les religieux font vivre aux orphelins de telles humiliations, maltraitances et atrocités que certains enfants deviennent fous, d’autres fuient, d’autres encore -nombreux- se suicident. Saul sera « sauvé » par le hockey sur glace, ce sport que lui fait découvrir le Père Leboutilier, un religieux qui semble bon avec lui. Dans des conditions misérables, avec un crottin en guise de palet, des patins trop grands et une glace qu’il doit lui-même préparer, Saul va s’entraîner, s’améliorer, se perfectionner, devenir un des meilleurs au point de pouvoir quitter cette pension sordide. Recueilli par une famille où il va connaître un certain équilibre heureux, il va intégrer l’équipe amérindienne des Moose avant de se voir proposer l’entrée dans la Ligue nationale de Hockey. Mais face aux marques de racisme, aux injures, aux coups, il fuit et trouve refuge dans l’alcool.
Roman initiatique par excellence dans un univers raciste où même un talent incroyable ne suffit pas à se faire une place dans le monde. J’ai souvent été émue et bouleversée au cours de ma lecture par ce parcours hors normes d’un garçon qui a toujours su rester humble et discret malgré son passé terrifiant, malgré ses prouesses sportives incomparables. L’écriture de Wagamese a quelque chose d’hypnotique, il rend le hockey sur glace passionnant pour ceux ou celles qui, comme moi, n’y connaissent rien. Il sait aussi, à la manière de son personnage principal, se faire subtil et sobre dans cette dénonciation de l’intolérance alors qu’on aimerait crier à l’injustice avec lui. Les dernières pages gagnent encore en puissance avec le retour de Saul sur les traces de son enfance et la révélation d’une effarante vérité trop longtemps cachée. Ce roman très fort qui nous emmène dans les forêts canadiennes mais aussi sur un stade hockey à la découverte de ce « jeu blanc » est un petit bijou qui mérite d’être lu, prêté, donné. Je me dis que j’ai beaucoup de chance, depuis mon petit village alsacien, de découvrir cette culture ojibwé et la voix de ce romancier. La magie de la littérature.
COUP DE COEUR !
« A St. Jerome’s, j’ai vu des enfants mourir de tuberculose, de grippe, de pneumonie et de cœur brisé. J’ai vu des jeunes garçons et des jeunes filles mourir debout sur leurs deux pieds. J’ai vu des fugitifs qu’on ramenait, raides comme des planches à cause du gel. J’ai vu des corps pendus à des fines cordes fixées aux poutres. J’ai vu des poignets entaillés et les cataractes de sang sur le sol de la salle de bains, et une fois, un jeune garçon empalé sur les dents d’une fourche qu’il s’était enfoncée dans le corps. J’ai observé une fille remplir de pierres les poches de son tablier et traverser le champ en toute sérénité. Elle est allée jusqu’au ruisseau, s’est assise au fond et s’est noyée. Ça ne cesserait jamais, ça ne changerait jamais, tant qu’ils continueraient à enlever des jeunes Indiens à la forêt et aux bras de leur peuple. Alors je me suis réfugié en moi-même. »
Dans l’équipe des Moose, ces « vagabonds du hockey », qui jouent de ville en ville : « Des petits bonheurs. Tous reliés les uns aux autres, imbriqués pour former une expérience que nous n’aurions échangés contre aucune autre. Nous étions une ligue de nomades, fous de ce jeu, fous de la route, fous de la glace et de la neige, un vent arctique sur le visage et une rondelle gelée sur la palette de nos crosses. »
Malgré ses exploits, Saul a droit à des « Peau-Rouge déchaîné », des poupées indiennes en plastique ou encore des crottins de cheval : « Je voulais atteindre de nouveaux sommets, être l’une des rares étoiles. Mais ils ne voulaient pas me laisser être tout simplement un hockeyeur. Il fallait toujours que je sois un Indien. »
