Après avoir beaucoup beaucoup aimé Les choses humaines de la même autrice, j’ai enfin extrait ce pavé qui se la coulait douce dans ma PAL depuis sa sortie.
L’intrigue tourne autour de trois personnages :
Romain, lieutenant, a combattu en Afghanistan mais une embuscade ayant tourné au drame, il a perdu un de ses hommes, un autre se retrouve infirme ; et Romain, plutôt que de rejoindre avec joie femme et fils, se renferme dans sa douleur. Une rencontre improbable avec une journaliste écrivaine, Marion, lui permet de connaître une passion sans précédent.
François Vély, un riche entrepreneur, est le mari de Marion. Un malentendu, une bourde stupide le propulse au bas de l’échelle : il a été pris en photo sur une œuvre d’art qui n’est autre qu’une chaise représentée par une femme noire obscène. On l’accuse de racisme avant de creuser dans son passé de juif refoulé. Rien ne va plus entre lui et Marion.
Osman est un Ivoirien qui s’est lancé dans la politique et qui a réussi, ô précieuse victoire, à sortir de sa banlieue pour s’assoir à côté du Président de la République. C’est un texte qui défend publiquement François Vély qui va lui permettre d’accéder aux plus hautes sphères du pouvoir… mais à quel prix ?
Ces trois-là vont finir par se retrouver en Irak, avec pour adversaire, la mort.
D’une force indéniable, ce roman puise dans la fiction pour montrer une réalité cruelle… à moins que ce soit l’inverse ! Karine Tuil ne prend pas de pincettes, les hommes politiques sont tous hypocrites, cupides, des requins prêts à tout, les militaires reviennent complètement déments de leurs missions des plus insensées et un brin, un rien, une poussière suffit à renverser un homme puissamment célèbre. La « tragédie des origines » constitue un autre thème central dans un univers où la tolérance n’est qu’une façade. Le monde est corrompu et ne peut que conduire vers la fin de l’insouciance… J’ai terminé ce roman au 2ème jour de confinement et la justesse du propos n’en est parue que plus réaliste encore. Ou comment le virus sonne le glas d’une période légère et insouciante… Les choses humaines porte le même regard pessimiste sur notre société en déclin, j’ai préféré son style plus pêchu à celui de L’insouciance mais les deux restent à lire pour leur ton engagé, leur accent véhément et combatif.
Je vous livre exceptionnellement la fin du roman :
« Ce n’était pas une décharge de chevrotine, ils ne sont pas morts mais fêlés, disloqués – explosion intime, fracture interne, invisible, la radiologie ignore la géographie de la douleur morale ; ils continueraient à se lever, se coucher, ils se surprendraient à rire, ils feraient l’amour et ils aimeraient peut-être, mais ils ne seraient plus jamais ces jouisseurs adonisés, ces frondeurs, ils ne seraient plus ces ambitieux – ils oublieraient le temps où ils rêvaient d’un poste, d’un titre, d’une gloire honorifique, le temps de la compétition sociale où briller comptait plus que vivre – ils ont traversé l’épreuve, immobiles et fragiles, statufiés par la peur, puis alertés, réactifs, fuyant l’horreur, visage halluciné face à l’irrémissible, cœur percuté, corps terrassé, surpris par la violence de l’attaque – la défection du bonheur n’est précédé d’aucune annonce. Une part d’eux-mêmes est définitivement perdue. Une forme de légèreté. Ce qui restait de l’enfance. L’insouciance. »

