Je poursuis ma découverte de Courteline, après La peur des coups et Monsieur Badin, voilà encore une courte pièce destinée à rire.
Des Rillettes arrive chez les Boulingrin qu’il a connu chez des amis communs. Il se fait une joie de les revoir, découvre avec plaisir un intérieur confortable, interroge la bonne, Félicie, à leur sujet, et compte bien profiter de leur aimable accueil. Lorsque le couple entre dans le salon, les espoirs de Des Rillettes tombent en miettes, les Boulingrin se disputent comme chien et chat, prennent leur invité à témoin, se font concurrence. Des Rillettes qui pensait être dans un « bain de sirop de sucre » dans la maison, en prend pour son grade. Il tombe brutalement sur ses fesses car mari et femme se battaient l’avantage de lui avancer une chaise, il se fait pincer, frapper, on le force à avaler de la soupe qui contiendrait de la mort aux rats…
C’est un peu Martine et Sganarelle version plus pêchue avec un témoin malheureux au centre de la dispute qui se prend tous les coups. On rit beaucoup ! La brièveté de la pièce fait penser à la nouvelle dans le genre narratif, c’est rapide, condensé et rythmé et l’auteur va droit au but. Du vaudeville à l’état pur !
Mme Boulingrin, empressée - Prenez ce coussin sous vos pieds.
Des Rillettes -Merci beaucoup.
Boulingrin, que la civilité de sa femme commence à agacer, et qui fourre un second coussin sous le premier - Prenez également celui-ci.
Des Rillettes -Bien obligé.
Mme Boulingrin, qui ne saurait, sans déchoir, accepter de son mari une leçon de courtoisie - Et celui-là.
Elle glisse un troisième coussin sous les deux autres.
Des Rillettes- En vérité...
Boulingrin, armé d'un quatrième coussin - Cet autre encore.
Des Rillettes- Non.
Mme Boulingrin- Ce petit tabouret.
Des Rillettes, les genoux à la hauteur de l'oeil - De grâce.
Boulingrin - Eh ! laisse nous tranquilles avec ton tabouret !
Exaspéré, il envoie un coup de pied dans la pile de coussins échafaudée sous les semelles de des Rillettes. Les coussins s'écroulent, entraînant naturellement, dans leur chute, la chaise de Des Rillettes, et des Rillettes avec.
Tu assommes M. des Rillettes.
Des Rillettes, les quatre fers en l'air - Quelle idée.
Mme Boulingrin- C'est toi qui le rases.
Boulingrin, avec autorité - Allons, tais-toi !
Mme Boulingrin- Je me tairai si je veux.
Boulingrin - Si tu veux ?
Mme Boulingrin- Oui, si je veux.
Boulingrin - ... de Dieu !
Mme Boulingrin - Et je ne veux pas, précisément.
Boulingrin - C'est trop fort !... Coquine !
Mme Boulingrin- Cocu !
Boulingrin - Gaupe !
Mme Boulingrin- Gouape !
Boulingrin - Quelle existence !
Mme Boulingrin- Je te conseille de te plaindre. (A des Rillettes.) Un fainéant doublé d'un escroc, qui ne fait œuvre de ses dix doigts et se saoule avec l'argent de ma dot : les économies de mon vieux père !
Boulingrin, au comble de la joie - Ton père ! ... (A des Rillettes.) Dix ans de travaux forcés pour faux en écritures de commerce.
Mme Boulingrin- En tout cas, on ne l'a pas fourré à Saint-Lazare pour excitation de mineure à la débauche, comme la mère d'un imbécile que je connais.
Boulingrin, à Des Rillettes - Vous l'entendez ?
Des Rillettes -Ne trouvez-vous pas que le temps s'est étrangement rafraîchi depuis une quinzaine de jours ?
Boulingrin, à sa femme - Ne me force pas à révéler en l'infection de quel cloaque je t'ai pêchée de mes propres mains.
14/12 pour le challenge de Bladelor !