J’apprécie beaucoup Didier van Cauwelaert. Même si je n’ai pas aimé tout ce que j’ai lu de lui, j’ai eu une expérience théâtrale formidable avec Noces de sable que j’ai adoré. Et il suffit parfois d’un énorme coup de cœur pour faire passer tout le reste. Rapport intime n’arrive pas à la cheville de Noces de sable mais n’en est pas très loin.
« Rapport intime » est une émission de télé-réalité qui consiste à essayer de rabibocher un homme et une femme séparés. Pour cela, le décor du plateau reconstitue celui de la maison ou de l’appartement où ont vécu les anciens amoureux (histoire de leur rappeler de bons souvenirs). Mais des caméras vont également directement voir l’amant parti, chez lui, à la maison, pour lui faire entendre raison et tenter de le faire revenir.
Paul est l’invité du jour. C’est un prof de grec qui n’a jamais enseigné sa matière (parce que plus personne n’en veut !), il est bougon et rentre mal dans le jeu dirigé par la pimpante présentatrice, Clara. Lui, ce qu’il veut, c’est parler à Aude, sa femme. Il va même jusqu’à … menacer toute l’équipe en prétendant que son cartable contient un kilo d’explosifs relié à un détonateur, de quoi tout faire sauter 100m à la ronde. Bien sûr, Clara panique. Pourtant, Bex, le directeur adjoint de l’antenne, lui fait comprendre que, malgré les risques, l’audimat est en train de battre tous les records. En pleine crise, les vrais visages apparaissent. Clara admet qu’elle a fait des sacrifices et des concessions pour rester à l’antenne, les téléspectateurs adorent voir quelqu’un risquer sa vie en direct et les objectifs de Paul ne sont peut-être pas ceux qu’il laissait entendre au début de l’émission…
Satire de la télé, réflexions sur le sens qu’on donne à sa vie, sur l’amour et la sincérité. Dans un unique décor, l’auteur réussit le pari de faire des flashbacks et des bonds dans le temps. La comédie n’est pas juste une comédie, le suspens ne nous lâche pas la main et les personnages sont attachants. J’ai bien sûr songé à ma petite troupe d’amour dont je fais partie depuis maintenant quinze ans pour jouer cette pièce. Il n’y a malheureusement pas assez de personnages mais le pari est tentant.
CLARA Y a quoi, dans ton cartable ?
PAUL Une surprise
CLARA Ah ! Fais voir
PAUL Je préfère attendre qu’on soit à l’antenne.
CLARA Ça se mange, c’est un truc de ton bled ? (Inquiète soudain.) C’est pas du munster ?
PAUL Non. C’est pas du munster.
CLARA Sympa. Le mois dernier, j’ai un Alsacien qui est venu avec un munster – sous les projos, pendant une heure, j’te raconte pas. On fait quoi, dans ton bled, au point de vue bouffe ?
PAUL Je ne sais pas
CLARA (sans écouter) J’te préviens : je mange rien à l’antenne.
PAUL Je n’y suis pas retourné depuis que je suis né.
CLARA (désignant le cartable) On montre, on applaudit, et on remet dans le cartable.
Paul a un petit rire, bouche fermée, en regardant Clara avec un air légèrement inquiétant, vaguement névropathe.
PAUL C’est ça, oui.
CLARA (révisant une dernière fois sa fiche) Bon, ta femme. J’ai rien sur la fiche. Elle fait quoi, elle est comment, c’est fini depuis quand ? Je te lance et tu racontes. Surtout, pense que tu te bats, que tu es en guerre contre deux millions et demi de zappeurs qui vont se barrer sur La Vie ou la Mort si tu les fais pas chialer dans les trois minutes avec ton histoire, alors vas-y à fond : t’as mal, t’as tout perdu, la maison, els voisins, le chien, j’sais pas, la joie de vivre, y a plus que l’absence et la solitude – t’aurais pas été sélectionné pour Rapport intime, tu te flinguais. OK ? C’est parti !
Et je participe toujours (mais très doucettement) au Challenge Théâtre d’Eimelle