Dans une chambre, un contrebassiste nous parle de son instrument. Entre deux gorgées de bière, quelques notes jouées pizzicato, un fond sonore de Brahms, il évoque la contrebasse, « l’instrument le plus important de l’orchestre », on n’entend que lui, il est indispensable, mais c’est une affaire passée sous silence parce que les musiciens ont tendance à être jaloux les uns des autres. C’est un instrument cher aussi, les cordes sont hors de prix et la portée de ses sons (les plus graves qui existent) pose problème. Le musicien nous fait la démonstration : il joue un fa grave et la voisine du dessus se met aussitôt à taper son mécontentement. En réalité, la contrebasse est un instrument plutôt détestable, peu maniable, que personne n’a réellement choisi, elle est plutôt un « embarras qu’un instrument ». « Dans un appartement, elle se trouve sans cesse sur votre chemin. Elle est plantée là, avec un air si bête… » D’ailleurs la contrebasse est un frein aux relations sociales et amoureuses, notre musicien en fait les frais constamment, il est encore célibataire à 35 ans, il est amoureux de Sarah -chanteuse lyrique- qui ignore même son existence. Il hésite à jouer une fausse note pour se faire remarquer, à crier son prénom lors d’un concert.
Ce qu’on peut prendre pour une nouvelle est en réalité un monologue théâtral qui est, vous l’aurez compris, aussi drôle que spirituel. Quand le musicien règle ses comptes avec celle qui l’accompagne tous les jours depuis des années, qu’il aime et déteste à la fois, oui, ça s’apparente à une scène de ménage mais la femme aussi imposante qu’elle soit, n’a pas droit à la parole, ou si peu. Pourtant, c’est lui, le musicien, qui semble être écrasé par sa contrebasse, il crie sa solitude, son désespoir et ses espoirs ; tel un Sisyphe imbibé de bière, il ne peut se détacher de son fardeau, puisqu’il est fonctionnaire à perpétuité. C’est une tragédie. A l’origine une pièce radiophonique, ce monologue a immédiatement plu et connu un grand succès dans plusieurs pays. En France, le musicien a notamment été interprété par Jacques Villeret et Clovis Cornillac. Une lecture amusante, intelligente et rafraîchissante.
« Et parfois je la mets dans le fauteuil en rotin, là en face de moi, je l’appuie bien et je pose l’archet à côté, et je m’assois ici dans le fauteuil de cuir. Et je la regarde. Et alors je pense : quel instrument hideux ! Je vous en prie, regardez-la. Non, mais regardez-la ! Elle a l’air d’une grosse bonne femme, et vieille. Les hanches beaucoup trop basses, la taille complètement ratée, beaucoup trop marquée vers le haut, et pas assez fine ; et puis ce torse étriqué, rachitique… à vous rendre fou. »
« s’il faut que tu joues faux pour qu’elle s’aperçoive que tu existes, il vaut encore mieux qu’elle ne s’aperçoive pas que tu existes. »
De Süskind, j'avais évidemment lu Le Parfum mais aussi un recueil de nouvelles, Un combat.