Overblog
Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
22 juillet 2022 5 22 /07 /juillet /2022 20:23

La Contrebasse, Patrick Süskind | Livre de Poche

Dans une chambre, un contrebassiste nous parle de son instrument. Entre deux gorgées de bière, quelques notes jouées pizzicato, un fond sonore de Brahms, il évoque la contrebasse, « l’instrument le plus important de l’orchestre », on n’entend que lui, il est indispensable, mais c’est une affaire passée sous silence parce que les musiciens ont tendance à être jaloux les uns des autres. C’est un instrument cher aussi, les cordes sont hors de prix et la portée de ses sons (les plus graves qui existent) pose problème. Le musicien nous fait la démonstration : il joue un fa grave et la voisine du dessus se met aussitôt à taper son mécontentement. En réalité, la contrebasse est un instrument plutôt détestable, peu maniable, que personne n’a réellement choisi, elle est plutôt un « embarras qu’un instrument ». « Dans un appartement, elle se trouve sans cesse sur votre chemin. Elle est plantée là, avec un air si bête… » D’ailleurs la contrebasse est un frein aux relations sociales et amoureuses, notre musicien en fait les frais constamment, il est encore célibataire à 35 ans, il est amoureux de Sarah -chanteuse lyrique- qui ignore même son existence. Il hésite à jouer une fausse note pour se faire remarquer, à crier son prénom lors d’un concert.

Ce qu’on peut prendre pour une nouvelle est en réalité un monologue théâtral qui est, vous l’aurez compris, aussi drôle que spirituel. Quand le musicien règle ses comptes avec celle qui l’accompagne tous les jours depuis des années, qu’il aime et déteste à la fois, oui, ça s’apparente à une scène de ménage mais la femme aussi imposante qu’elle soit, n’a pas droit à la parole, ou si peu. Pourtant, c’est lui, le musicien, qui semble être écrasé par sa contrebasse, il crie sa solitude, son désespoir et ses espoirs ; tel un Sisyphe imbibé de bière, il ne peut se détacher de son fardeau, puisqu’il est fonctionnaire à perpétuité. C’est une tragédie. A l’origine une pièce radiophonique, ce monologue a immédiatement plu et connu un grand succès dans plusieurs pays. En France, le musicien a notamment été interprété par Jacques Villeret et Clovis Cornillac. Une lecture amusante, intelligente et rafraîchissante.

« Et parfois je la mets dans le fauteuil en rotin, là en face de moi, je l’appuie bien et je pose l’archet à côté, et je m’assois ici dans le fauteuil de cuir. Et je la regarde. Et alors je pense : quel instrument hideux ! Je vous en prie, regardez-la. Non, mais regardez-la ! Elle a l’air d’une grosse bonne femme, et vieille. Les hanches beaucoup trop basses, la taille complètement ratée, beaucoup trop marquée vers le haut, et pas assez fine ; et puis ce torse étriqué, rachitique… à vous rendre fou. »

« s’il faut que tu joues faux pour qu’elle s’aperçoive que tu existes, il vaut encore mieux qu’elle ne s’aperçoive pas que tu existes. »

De Süskind, j'avais évidemment lu Le Parfum mais aussi un recueil de nouvelles, Un combat.

Partager cet article
Repost0
16 juin 2022 4 16 /06 /juin /2022 20:46

Berlin Berlin - Theatre Fontaine à Paris | Billets & Places

Ça n’arrive pas souvent mais je vous parle aujourd’hui d’une pièce que j’ai vue à Paris, au Théâtre Fontaine.

Berlin Est dans les années 80. Emma se fait engager comme aide-soignante chez Werner ou plutôt chez la mère de Werner qui reste cloîtrée dans sa chambre (et que le spectateur ne verra jamais). Ce n’est pas par hasard qu’elle a postulé pour cet emploi, elle connaît l’existence d’un passage secret, là, juste derrière la bibliothèque, qui permet de passer de l’autre côté du Mur en quelques coups de pioche. Son fiancé, Ludwig, la suit à contrecœur dans cette aventure et, maladroit et un peu idiot, il va multiplier les gaffes. Ce qui n’arrange en rien les choses : Werner tombe amoureux d’Emma, Ludwig se montrera jaloux, un infirmier se révèlera être un espion et Werner, agent de la Stasi, finira par emmener Ludwig aux bureaux de la Stasi, le prenant pour un précieux informateur.

Si j’ai beaucoup aimé la pièce, souri et même ri à plusieurs reprises, si mes deux ados l’ont beaucoup appréciée aussi, j’ai finalement été un peu déçue d’avoir affaire à une comédie et simplement une comédie bien ficelée. Vu le contexte, j’en espérais sans doute autre chose ; ce n’est pas avec cette intrigue que vous en allez apprendre davantage sur la Stasi. Mais on ne boude pas son plaisir entre le mini-film en 3D de l’introduction, le chant d’un ponte de la Stasi (à l’accent allemand épouvantable !), les quiproquos, le comique de répétition, les petits effets spéciaux, la dynamique de l’ensemble et surtout, l’irrésistible comique de Patrick Haudecoeur. Deux Molière 2022 sont venus récompenser les artistes.

La pièce reste visible jusqu’en juillet et les représentations reprendront en septembre.

https://www.francetvinfo.fr/pictures/9gmbn7qtj8I-46zmAK4tdUNrdAA/fit-in/720x/2022/02/11/phpjrMgT3.jpg

Partager cet article
Repost0
8 mai 2022 7 08 /05 /mai /2022 15:11

Grand menteur | Actes Sud

Ce très court livre est composé de trois monologues.

Dans « Grand menteur », c’est le personnage éponyme qui prend la parole. Il ment depuis toujours, depuis sa naissance quand sa mère lui a dit que le monde était trop petit pour lui et que son père ne faisait que des apparitions aussi épisodiques qu’alcoolisées.

« La mariée gare centrale », sous l’impulsion d’une phrase sortie « de mon ventre, de ma gorge et de toute ma chair » : « Où c’est donc que tu vas te fourrer pour te cacher de vivre ? », elle décide de partir, d’agir, de prendre le large, de s’enfuir pour mieux vivre. C’est ainsi qu’elle va rencontrer Grand Menteur.

« Fille Fiston » naît de cette union unique entre les deux protagonistes précédents. Être hybride, il/elle se bat pour vivre et faire du moment le plus beau des instants, de la vie « une grande fête fêlée, rudement belle »

Ces trois textes, que l’auteur appelle « triptyque de l’amour chaviré » donnent la parole à de petites gens peut-être nées dans la boue mais dont les paroles valent de l’or. C’est surtout une ode à la vie malgré tout. Malgré les obstacles, le noir, le laid, la peur. Trois poèmes qui, d’un seul souffle, nous poussent un peu en avant, nous aident à mieux grandir, à regarder l’autre différemment, peut-être mieux. C’est court, c’est fort, c’est précieux. Laurent Gaudé est un magicien des mots.

Un passage tellement fort, tellement vrai :

« Une seule vie, c'est trop triste à pleurer. Et laquelle alors ?

Laquelle, qui d'emblée exclut tout le reste ?

Je veux être mendiant et faire de l'or,

Je veux être fidèle et dissolu,

Je veux une famille de grande tablée

Et rester seul dans le silence du temps,

Je veux être femme

Mais comme le père,

Manouche torse nu avec son grand manteau de laine retournée,

Chaînes autour du cou

Et chiens aux poignets,

Seigneur des parkings au sourire de dents en or.

Je veux être personne dans la foule qui sue sa carcasse.

Je veux être Noir

Et puis Blanc,

Je veux parler la langue des animaux

Et boire des ti-punchs sur les volcans

Parce que je suis un timoun comme les autres devant le bruit du vent.

Je veux tout et tant pis si ça se mélange,

Qui c’est qui peut me dire que c'est pas bien de vouloir tout bâfrer jusqu'à la dernière goutte avant d'aller clamser ? »

 

La deuxième narratrice :

« Grand ouste la vie d’avant !

Il y a plus de retour

Même si j’ai la trouille,

Faut bien l’avouer,

Parce qu’il y a la voix de panique qui ricane : « Où est-ce que ça va finir tout ça, toutoule ? »

Qu’elle me dit en secret,

« Où est-ce que tu vas aller chialer, pigrette, quand t’auras tout raté ? »

 

Quelques autres titres de l'auteur : La mort du roi Tsongor, Salina, Eldorado, Cris.

Partager cet article
Repost0
23 avril 2022 6 23 /04 /avril /2022 22:11

Cendrillon - Joël Pommerat - Babelio

 

Il me tardait de retourner vers le théâtre. Joël Pommerat propose ici une énième version du célèbre conte.

Sandra, la « très jeune fille » a perdu sa mère qui lui aurait dit, avant de mourir, de ne cesser de penser à elle. Mais la fillette n’est pas sûre d’avoir bien compris. Elle mène une vie triste, rythmée par les sonneries d’une grosse montre qui l’empêchent d’oublier sa mère. Ainsi, quand son père et elle emménagent dans la maison de la « belle-mère », de « Sœur la grande » et « Sœur la petite », elle accepte avec résignation les tâches domestiques qu’on lui ordonne d’accomplir. La belle-mère, très sûre d’elle, est persuadée qu’elle fait moins que son âge et, des trois, c’est elle qui s’apprête le plus pour se rendre au bal donné par le roi pour son fils, le « très jeune prince ». A cette soirée, le prince, angoissé à l’idée de manquer le coup de fil de sa mère, retenue depuis si longtemps par les grèves des transports (… depuis dix ans, en fait !) bouscule Sandra. Les deux discutent un moment avant de se quitter. Le roi, sachant qu’une rencontre a bouleversé son fils, va tout faire pour retrouver la jeune femme. Arrivant à la maison des protagonistes, la belle-mère est convaincue que le prince a eu coup de foudre… pour elle.

Si on devait simplifier, on pourrait dire que cette version est à la fois moderne et tournée vers la réflexion sur le deuil. De nombreux passages sont drôles : la belle-mère s’impose de manière ridicule lorsqu’elle croit que le prince est tombé amoureux d’elle ; le motif de la chaussure est repris mais de manière loufoque (c’est le prince qui offre une de ses chaussures à la très jeune fille) ; la fée jure comme un charretier. Les deux jeunes futurs amoureux se retrouvent parce qu’ils ont, chacun de son côté, de grosses difficultés à vivre le deuil de leur mère parce qu’on a commis une erreur de langage et qu’on les a convaincus, pour le prince, que sa mère n’était pas vraiment morte, pour la jeune fille, qu’elle ne devait passer un seul instant de sa vie sans penser à sa mère. J’ai pris du plaisir à lire cette pièce mais un bémol -de taille- m’a dérangée : la langue. Elle est ouvertement familière et fautive (« on s’est pas donné nos coordonnées c’est vrai, on y a pas pensé. »), Pommerat veut capter le réel, il demande aux comédiens d’être le plus concrets et le plus directs possible. Dans la même logique, il privilégie l’improvisation en début de répétition, s’appuie sur les « surprises » qui peuvent en découler pour retoucher le texte initial. Ainsi, comédiens mais aussi techniciens participent à l’écriture.

La belle-mère à la très jeune fille : « T’es encore là toi ! Qu’est-ce que tu fais là comme ça, inerte ? On dirait un poisson crevé qui flotte à la surface de l’eau ! Il est où ton père, il est pas là ? Tu rêvasses ? Faut arrêter avec les rêvasseries, faut entrer dans la vie réelle ma petite fille maintenant ! Qu’est-ce que tu te tiens mal en plus, c’est pas possible ! »

Je crois qu'Hélène a moins aimé que moi.

Partager cet article
Repost0
29 janvier 2022 6 29 /01 /janvier /2022 12:25

MOLIERE L'ECOLE DES FEMMES COMEDIE LAROUSSE 1938 CLASSIQUES LAROUSSE TEATRO  | eBay

Non, je n’allais pas laisser passer janvier, mois anniversaire de la naissance de notre fameux Jean-Baptiste Poquelin, sans en toucher un mot. Je lis et relis beaucoup le dramaturge pour mon plaisir et pour mon travail, je ne m’en lasse pas et il m’épate à chaque fois.

            Arnolphe est un vieux (42 ans…) célibataire qui, plutôt que de se marier et de se retrouver cocu, a largement anticipé : il a « élevé » depuis ses 4 ans une fille, Agnès, l’a protégée du monde extérieur, l’a éduquée à sa manière, l’a rendue aussi sotte qu’ignorante. Il épousera donc celle qui, à dix-sept ans, se demande « si les enfants qu’on fait se faisaient par l’oreille. » Malheureusement pour Arnolphe, un « jeune homme bien fait » croise son chemin et elle raconte ingénument à son protecteur qu’un amour aussi subit qu’imprévisible a immédiatement lié les deux jeunes gens. Parallèlement, Horace, le fils d’un ami d’Arnolphe, vient confier au barbon qu’il est tombé amoureux d’Agnès, « ce jeune astre d’amour de tant d’attraits pourvu » et que ses « affaires sont en fort bonne posture ». Arnolphe enrage et multipliera les ruses pour défaire cet amour et épouser au plus vite cette jeune femme qui, parce qu’elle lui échappe, trouve de plus en plus grâce à ses yeux. Mais Agnès écoute son cœur et, si elle obéit à Arnolphe quand il lui demande, par exemple, de jeter une pierre à la tête d’Horace, elle l’accompagne également d’une lettre d’amour. Arnolphe persévère en apprenant à Agnès les « maximes du mariage » qui, plutôt que d’assagir la belle ingénue, vont l’effrayer et la faire fuir, « chez vous le mariage est fâcheux et pénible (…) [Horace] le fait, lui, si rempli de plaisirs, que de se marier il donne des désirs. » Un retournement de situation final va légitimer l’union des jeunes gens et laisser Arnolphe … sans voix.

L’École des femmes date de 1662 et reprend les thèmes majeurs de L’École des maris qui date de l’année précédente. Molière y dénonce clairement l’éducation trop stricte des filles et ce carcan étriqué d’un mariage qui n’a jamais rien d’authentique. La pièce a fait polémique, justement parce que le sacrement du mariage était pointé du doigt. J’ai complété ma (re)lecture par une adaptation de Stéphane Braunschweig qui m’a d’abord un peu déstabilisée (la pièce commence dans une salle de sport) et finalement convaincue. Cette version se veut moderne et sensuelle, laissant toute la place à la femme, maîtresse de ses désirs. Suzanne Aubert incarne parfaitement la jolie Agnès pas si bête qu’il n’y paraît et Claude Duparfait apporte une sincérité intéressante au personnage d’Arnolphe, rendu, ainsi, presqu’attachant. La pièce comme cette représentation-là apportent une fraîcheur, une soif de liberté et une envie de briser contraintes et asservissements que chacun pourra reprendre à son compte.

La mise en scène de Braunschweig 

 

Une des maximes du mariage ou « devoirs de la femme mariée » :

« Elle ne se doit parer

Qu’autant que peut désirer

Le mari qui la possède :

C’est lui que touche seul le soin de sa beauté ;

Et pour rien doit être compté

Que les autres la trouvent laide. »

 

Morale prononcée par Chrysalde, l’ami d’Arnolphe :

 « Si n’être point cocu vous semble un si grand bien,

Ne vous point marier en est le vrai moyen. »

    Théâtre : la leçon de «L'École des femmes» - Le Parisien

Partager cet article
Repost0
17 octobre 2021 7 17 /10 /octobre /2021 13:25

Une histoire d'amour - broché - Alexis Michalik - Achat Livre ou ebook |  fnac

J’ai chopé cette pièce de théâtre à la bibliothèque et l’ai lue en deux temps trois mouvements.

                Katia et Justine sont deux jeunes femmes qui se retrouvent dans un bar après s’être connues chez un ami commun. C’est évident, Katia, homosexuelle, drague ouvertement Justine qui – même si elle aime généralement les hommes – se laisse séduire. Elles boivent, vont en boîte, s’embrassent et se retrouvent dans le même lit. Contre toute attente et malgré les craintes de Katia, Justine s’accroche, s’engage, reste, aime sa nouvelle compagne. Et lui demande, deux ans plus tard, un enfant. Même si elle se montre d’abord réticente, Katia accepte l’insémination artificielle pour Justine et, sur un pari un peu rapide, pour elle aussi. C’est Katia qui tombera amoureuse mais Justine ne tiendra pas toutes ses promesses…

Je l’ai dit, j’ai lu la pièce d’une seule traite, j’en sors bouleversée mais un peu frustrée. Les personnages m’ont paru un peu caricaturaux et simplistes, j’aurais aimé, pour une pièce contemporaine, trouver une pointe d’originalité soit dans les dialogues, soit dans la mise en scène. J’ai pourtant été émue par cette histoire d’amour qui finit mal, par les revirements de situation et la métamorphose de certains personnages. Mais je suis restée sur ma faim, il m’a manqué le petit grain de folie que j’apprécie chez Michalik. Evidemment, il faudrait voir la pièce, c’est toujours possible jusqu’à fin octobre à La Scala, à Paris. N’hésitez pas, elle a reçu le Molière de la mise en scène d'un spectacle de théâtre privé, et venez me raconter !

Katia et Justine emménagent ensemble, Katia panique lorsque le livreur apporte un canapé ; il tente de la rassurer (ou pas !) : « C’est normal. Le canapé, c’est le temps qui passe. C’est la peur de l’engagement, l’angoisse de vieillir. La mort qui se rapproche. L’inéluctabilité du néant. »

Le frère de Katia, William, se retrouve à vivre à la campagne, seul, après une rupture : « Ça me fout une angoisse pas croyable. Y a pas un café à dix kilomètres à la ronde, un musée je t’en parle même pas, mon voisin le plus proche a soixante-quinze ans, si la voiture tombe en panne, je meurs. Je meurs de faim. On va me retrouver dévoré par les renards. »

 

Partager cet article
Repost0
3 décembre 2020 4 03 /12 /décembre /2020 11:24

Afficher l’image source

 

On n’a plus le droit d’aller au théâtre, on n’a plus le droit de jouer (si, seul chez soi, ô splendeur) mais on a encore le droit de lire du théâtre. Découverte d’un dramaturge israélien savoureux. Le recueil comporte trois pièces.

Dans « Yaacobi et Leidental », Yaacobi déclare dans la première scène « avoir pris conscience que si je suis venu au monde, c’est pour vivre. Je vais donc de ce pas rompre avec mon meilleur ami, David Leidental. » Le meilleur ami n’accepte pas cette décision. En parallèle, Yaacobi rencontre Ruth, la femme aux fesses généreuses avec qui il veut faire sa vie, du moins, il essaie de s’en convaincre. Le ton est donné, il sera sarcastique, drôle et déroutant. J’ai absolument adoré cette pièce, ce style désabusé qui côtoie l’absurde l’air de rien…

« - J’espère que vous appréciez.

     -  (pour elle-même) C’est ça, espère. »

Leidental s’offre en cadeau de mariage et devient un « confident multifonction » : « Je n’ai pas besoin de moi ».

« à part la santé, je n’ai pas grand-chose à apporter à cette union. »

Yaacobi : « Ecoute, je t’ai peut-être blessé, peut-être même un peu anéanti, mais rien de bien exceptionnel, entre amis. Aime ton prochain comme toi-même. »

« tu me connais, je n’ai pas changé, j’en veux toujours autant et j’en fais toujours aussi peu. »

« Kroum l’Ectoplasme » est celui qui a voyagé et revient au pays mais sans avoir rien gagné ni rien appris. Les personnages sont nombreux mais tous anti-héros, apathiques, veules. Il y a l’hypocondriaque qui veut enfin vivre quand il arrive au bout de son existence, malade pour de bon ; il y a celui qui se trompe de femme et celle qui ne sait jamais ce qu’elle veut. C’est la pièce que j’ai le moins aimée.

« Une Laborieuse Entreprise » : c’est noir, caustique et cruel. Yona décide, une nuit, de quitter sa femme avec qui il vit depuis trente ans. Elle ne comprend pas, le supplie de rester, est prête à tout. Surgit un ami qui, par son impertinence, réussit à rabibocher les deux mais un court laps de temps : « Qu’ai-je en commun avec ce tas de viande qui se la coule douce dans un sommeil paisible » …  Une belle image de la vie de couple !

Hanokh Levin est un auteur subversif qui a vraiment su éveiller ma curiosité, il était connu de son vivant (il est mort en 1999), parfois acclamé, parfois hué pour ses propos jugés scandaleux.

Partager cet article
Repost0
7 février 2020 5 07 /02 /février /2020 16:25

Résultat de recherche d'images pour "Des jours et des nuits à Chartres d’Henning Mankell"

         Je n’ai plus rien lu de Mankell depuis 2015, l’année de sa mort. Quand je suis tombée sur cette courte de pièce de théâtre, je me suis dit que c’était le moment de découvrir le Mankell dramaturge. Il a été directeur artistique d’une troupe de théâtre au Mozambique et a écrit de nombreux textes de théâtre.

         Simone, en août 1944, est tondue et promenée dans les rues de Chartres pour avoir couché avec un Allemand pendant la guerre et avoir eu un enfant de lui. Robert Capa a immortalisé la scène et c’est cette photo qui a inspiré Mankell pour écrire sa pièce. En bouleversant la chronologie, l’auteur donne à voir la rencontre de Simone accompagnée de sa copine Marie et Helmut, cet Allemand entreprenant dont Simone va tomber amoureuse. Helmut est un nazi, il a une foi incroyable en Hitler mais aime aussi Simone et la fait rêver d’un avenir commun et radieux. On retrouve Simone – quelques années plus tard - emprisonnée, prête à être jugée, face aux résistants qui ne cessent de répéter qu’ils ne commettront pas les mêmes crimes absurdes que les Allemands. Et qui pourtant ordonneront la tonte de la jeune femme et son humiliation publique. Et il y a David, le père de Simone, qui ne comprend pas sa fille mais continue à l’aimer. Et Simone, contrainte à marcher dans les rues de Chartres, son bébé dans les bras. Si la vraie histoire finit mal, Simone Touseau devient alcoolique et meurt prématurément en 1966, Mankell met sur la table les questions de la culpabilité, de la vengeance, de l’amour et du pardon. Les tondues ont été une cible facile pour des Français victimes d’injustices trop nombreuses subies pendant la guerre.


            Ce court texte est prenant et bouleversant. Même si cette jeune fille de dix-huit ans a côtoyé l’ennemi de près, on lui pardonne immédiatement son insouciance et sa frivolité. Marquée au fer rouge par cet abaissement public et apparemment unanime, elle est seule, incroyablement seule avec son bébé. Les dialogues simples et courts alternent avec des monologues de Robert Capa, personnage de la pièce lui aussi, témoin de la scène mais aussi « victime » du succès qu’a connu sa photo qu’il qualifie lui-même de « plutôt ratée ».

         Ou quand l’horreur change de camp si rapidement…

Robert Capa :

« J’ai parfois le sentiment d’être
Un habile pickpocket
Qui subtilise aux hommes 
Leurs secrets.


Ce ne sont pas des visages que je photographie.
J’ai plutôt le sentiment de vouloir capter
Un souffle. »

 

Simone quand on lui dit qu’elle aurait pu avorter : « J’aurais dû, je sais. Alors je ne serais peut-être pas ici. Mais je ne pouvais pas, je l’aimais, c’était comme ça. Et je sais qu’il m’aimait aussi. Jamais un homme ne m’a traitée comme lui. Alors, qu’il soit venu de la Lune ou de l’Allemagne, ça m’était égal. J’espère que j’aurai la force de dire la vérité devant le tribunal. On ne peut pas condamner une femme à mort parce qu’elle est amoureuse. »

Résultat de recherche d'images pour "Des jours et des nuits à Chartres d’Henning Mankell"

Partager cet article
Repost0
19 novembre 2019 2 19 /11 /novembre /2019 19:42

Résultat de recherche d'images pour "Le Porteur d’histoire d’Alexis Michalik"

         « L’homme » rencontre Alia et sa fille Jeanne dans le désert algérien. Il se met à raconter son histoire, celle d’un type paumé qui, à la mort de son père, découvre un cercueil très ancien rempli de livres. De ces livres naissent des histoires qui seront pour le personnage principal des sésames qui lui ouvriront d’autres portes et d’autres histoires. Un formidable voyage onirique va conduire des dizaines de personnages à travers les siècles et les continents.

        Depuis son formidable Edmond, on ne présente plus Alexis Michalik, metteur en scène, écrivain, acteur… génie ? Cette pièce est sa première création, partie de l’idée d’une tombe recelant un trésor. Fantasque, joyeuse, foutraque, cette histoire comporte de nombreux récits enchâssés, des digressions, des sauts dans le temps allant de l’Antiquité à nos jours, plaçant sur une même scène Marie-Antoinette, Alexandre Dumas, Eugène Delacroix ou encore notre narrateur-guide à travers le Temps. Au croisement de la fantaisie d’un Timothée de Fombelle et du talent de conteur d’un Antoine Bello, Alexis Michalik emprunte le concept du feuilleton aux Mille et une nuits, poussant le lecteur-spectateur sur un tapis volant qui l’emmène faire un long et beau voyage. Une ode à la transmission des lectures, un hommage aux grands écrivains. Lire le texte est un délice mais la frustration de ne pas voir la pièce jouée est grande !

« En ce monde, celui qui détient l’information, celui qui détient les clés du récit, celui qui sait mieux que les autres raconter une histoire devient le maître. Peu importe les titres de noblesse et les privilèges, l’homme qui raconte bien peut lever des armées et embraser des nations. »

Partager cet article
Repost0
7 mai 2019 2 07 /05 /mai /2019 22:12

        

        Au XIXème siècle, dans une ville de province russe, Katerina est mariée à Tikhon qu’elle n’aime pas. Mais celle qui lui nuit encore plus, c’est Kabanova, sa belle-mère, vieille bonne femme acariâtre, tyrannique, surveillant sans cesse ce que fait son fils, ce que fait sa bru. Varvara, la sœur de Tikhon, est du côté de Katerina, elle l’incite à prendre sa liberté : « Toute notre maison est bâtie sur le mensonge. Moi non plus, je n’étais pas menteuse ; et puis j’ai appris, quand il a fallu. » Cela tombe bien, Katerina est secrètement amoureuse de Boris à qui elle plaît beaucoup justement. Varvara va tout faire pour les rapprocher : lors de l’absence du mari, elle laisse libre un passage au fond du jardin. Les amants se retrouvent une dizaine de nuits mais, au retour de Tikhon, Katerina ne peut supporter d’avoir commis ce péché qu’elle avoue à son mari. Ce dernier serait prêt à pardonner, conscient de vivre un enfer dans cette maison mais la belle-mère l’accable cruellement. Katerina finit par se jeter dans la Volga, son mari veut la retenir au dernier moment mais Kabanova l’en empêche. Un menaçant orage et ses coups de tonnerre prémonitoires ponctuent la pièce et les états d’âme de Katerina.

         Entre drame et tragédie, la pièce est prenante et le rythme bien mené. Si la marâtre déclenche les rouages d’une fin tragique, les traditions ridicules, la religion suffocante et les superstitions russes occupent également une grande place dans le malheur des personnages. Il faut s’asseoir et faire silence avant le départ d’un proche, une épouse doit passer « une bonne heure et demie à se lamenter, couchée sur le perron » au départ de son mari. Une lecture édifiante vraiment intéressante dans un univers sec et sans concession.

        Alexandre Ostrovski (mort en 1886, quand Tchekhov a 26 ans) fait partie des dramaturges les plus importants du XIXème siècle sans être réellement connu en France ; cette pièce a largement inspiré le compositeur tchèque pour écrire son Katja Kabanova en 1921.

 

« Ici, pour une femme, être mariée ou enterrée, c’est pareil. » (et c’est Boris qui le dit…)

 

Partager cet article
Repost0