J’avoue tout. Maupassant n’a jamais fait partie de mes favoris, longtemps, je l’ai écarté de mes lectures. J’ai aimé ses romans, lus il y a si longtemps… J’ai souvent étudié ses nouvelles fantastiques qui n’étaient pas ma tasse de thé tout simplement parce que le fantastique n’est pas dans mes goûts. Et là, je relis ses nouvelles réalistes. Et je me régale. Bon sang, mais c’est un trésor ! Un vrai joyau !
Je ne vais pas vous résumer ces contes qui sont narrés par les convives du baron qui, en échange d’une délicieuse bécasse rôtie, se voyaient dans l’obligation d’offrir un récit.
La variété de ces textes courts – ils n’excèdent que rarement dix pages – constitue leur richesse. On parle de chien abandonné, d’appétit sexuel, de folie, de guerre, de chasse au sanglier, de pauvreté, de paternité, de peur, de danse, d’alcool, de séduction, …
J’ai eu l’impression d’ouvrir une vieille malle trouvée dans le grenier de la maison familiale, je connaissais toutes ces nouvelles, je les ai redécouvertes avec un sourire ému, avec le bonheur qu’on éprouve quand on retrouve un objet familier, une vieille peluche, un cahier de notes, un album de photos. J’espère profondément que mes élèves de 4ème à qui je vais donner quelques-uns de ces textes à lire, vont apprécier autant que moi ces instants de vie.
Je n’évoquerai que deux nouvelles retenues, l’une pour son humour, son ironie, l’autre pour sa dimension poétique.
- « Ce cochon de Morin » est la nouvelle qui ouvre le recueil (si on exclut « La Bécasse » qui n’est qu’une ample explication du titre du livre). Morin, mercier, riche de ses expériences sexuelles parisiennes, s’imagine, dans le train qui le ramène à La Rochelle, que la magnifique demoiselle assise en face de lui le désire comme lui la désire. Il lui saute donc littéralement dessus. Contrairement à ses attentes, la jolie Henriette hurle et crie au scandale. L’affaire va loin, Morin craint pour son avenir, pour sa réputation, pour son mariage. Le narrateur, le député Labarbe, accompagné d’un de ses collaborateurs, tente de sauver celui qu’on surnomme déjà « ce cochon de Morin » et va trouver Henriette, son oncle et sa tante. Le narrateur se rend compte par lui-même à quel point la jeune fille est séduisante. Il tombe sous le charme, lui fait la cour, elle cède assez rapidement. Voilà leur nuit d’amour :
« Alors je poussai doucement le verrou ; et, m'approchant sur la pointe des pieds, je lui dis : "J'ai oublié, Mademoiselle, de vous demander quelque chose à lire". Elle se débattait ; mais j'ouvris bientôt le livre que je cherchais. Je n'en dirai pas le titre. C'était vraiment le plus merveilleux des romans, et le plus divin des poèmes.
Une fois tournée la première page, elle me le laissa parcourir à mon gré ; et j'en feuilletai tant de chapitres que nos bougies s'usèrent jusqu'au bout. »
L’oncle et la tante d’Henriette retirent leur plainte mais Morin ne s’en remet par, il meurt deux ans plus tard. Labarbe revoit, quelques années plus tard, une Henriette mariée à un notaire mais émue par leurs souvenirs communs. La nouvelle se termine sur les paroles de compassion et de reconnaissance du notaire : « "Voici longtemps, cher monsieur, que je veux aller vous voir. Ma femme m'a tant parlé de vous. Je sais... oui, je sais en quelle circonstance douloureuse vous l'avez connue, je sais aussi comme vous avez été parfait, plein de délicatesse, de tact, de dévouement dans l'affaire...". Il hésita, puis prononça plus bas, comme s'il eût articulé un mot grossier : "... Dans l'affaire de ce cochon de Morin". »
- - « Menuet » : « Jean Bridel, un vieux garçon qui passait pour sceptique » raconte : étudiant, il se promenait souvent à la pépinière du Luxembourg. Il y rencontra un étrange vieillard qui se mettait parfois à danser : « Et voilà qu'un matin, comme il se croyait bien seul, il se mit à faire des mouvements singuliers : quelques petits bonds d'abord, puis une révérence ; puis il battit, de sa jambe grêle, un entrechat encore alerte, puis il commença à pivoter galamment, sautillant, se trémoussant d'une façon drôle, souriant comme devant un public, faisant des grâces, arrondissant les bras, tortillant son pauvre corps de marionnette, adressant dans le vide de légers saluts attendrissants et ridicules. Il dansait ! Je demeurais pétrifié d'étonnement, me demandant lequel des deux était fou, lui, ou moi. » Le narrateur devient l’ami du vieil homme et rencontre sa femme, La Castris, une ancienne grande danseuse. C’est avec nostalgie que le vieux couple revient quotidiennement dans le jardin et offre au narrateur une danse d’autrefois, le menuet :
« Alors je vis une chose inoubliable.
Ils allaient et venaient avec des simagrées enfantines, se souriaient, se balançaient, s'inclinaient, sautillaient pareils à deux vieilles poupées qu'aurait fait danser une mécanique ancienne, un peu brisée, construite jadis par un ouvrier fort habile, suivant la manière de son temps.
Et je les regardais, le cœur troublé de sensations extraordinaires, l'âme émue d'une indicible mélancolie. Il me semblait voir une apparition lamentable et comique, l'ombre démodée d'un siècle. J'avais envie de rire et besoin de pleurer.
Tout à coup ils s'arrêtèrent, ils avaient terminé les figures de la danse. Pendant quelques secondes ils restèrent debout l'un devant l'autre, grimaçant d'une façon surprenante ; puis ils s'embrassèrent en sanglotant.
Je partais, trois jours après, pour la province. Je ne les ai point revus. Quand je revins à Paris, deux ans plus tard, on avait détruit la pépinière. Que sont-ils devenus sans le cher jardin d'autrefois, avec ses jardins en labyrinthe, son odeur du passé et les détours gracieux des charmilles ?
Sont-ils morts ? Errent-ils par les rues modernes comme des exilés sans espoir ? Dansent-ils, spectres falots, un menuet fantastique entre les cyprès d'un cimetière, le long des sentiers bordés de tombes, au clair de lune ?
Leur souvenir me hante, m'obsède, me torture, demeure en moi comme une blessure. Pourquoi ? Je n'en sais rien. Vous trouverez cela ridicule, sans doute ? »
Cette lecture sied à merveille au mignonnet challenge Maupassant de Margotte !