Je vous avais dit qu’avec Zoyâ Pirzâd, je ne me contenterai pas de C’est moi qui éteins les lumières que j’ai beaucoup aimé. Voici un recueil de 18 nouvelles qui correspond aussi à son premier ouvrage paru.
En Iran, dans un univers en quasi huis clos, il est question de cuisine, de couture, de vaisselle, de fleurs, d’enfants, tout cela dans un contexte familial où la mère, généralement, regarde par la fenêtre et attend le retour de son mari. Ce monde douceâtre et plutôt soporifique car extrêmement routinier se modifie petit à petit, d’une nouvelle à l’autre, pour y voir surgir, par petites touches, des ombres, des impressions fugaces qui dérangent, qui tendent à briser le fragile et précaire équilibre initial. Ainsi, une femme se réjouit de n’avoir jamais eu d’enfants, une autre ôte rageusement ses bas trop collants, une troisième se voit répudiée et incite ses filles à la rébellion, une dernière fait preuve de caractère en balançant repas, nappe et tout le toutim par la fenêtre, une armée de voitures bruyantes et grinçantes envahissent les rues de la ville.
C’est une ambiance faite de nostalgie et de souvenirs qui constitue le point fort de ce recueil de nouvelles. J’ai préféré le roman C’est moi qui éteins les lumières mais ces textes courts ne sont pas dénués de charme et, même s’ils ont pour cadre resserré une maison bourgeoise en Iran, ils revêtent une dimension universelle. J’ai apprécié de retrouver à nouveau le procédé du monologue intérieur et l'extrême sobriété du style de l'écrivain femme. Certaines nouvelles nous sortent un peu dans la rue et une de mes préférées, « Le Banc d’en face » décrit, de manière assez drôle, un type qui aime observer les gens et leur prêter une vie, des humeurs, une histoire qu’il croit détecter sur leur visage et leur comportement. Ainsi, parce que l’homme assis sur un banc en face de lui semble triste, il s’imagine qu’il a perdu son emploi, ce qui l’amène à réfléchir lui-même sur l’instabilité de son propre métier. Un courrier étrange était parvenu récemment au directeur général… ou comment imaginer le pire :
« Pourvu qu’il ne s’agît pas de lui ! Et pourquoi lui ? Il n’y avait pas plus consciencieux dans tout le bureau. Jamais il n’était en retard, jamais absent. Pas une fois il n’avait sollicité de congé pour raison médicale. Alors pourquoi lui ? Il songea aux réactions de ses collègues. Ils lui témoigneraient certainement de la compassion. Mais à quoi cela lui servirait-il ? Il se souvint qu’il avait sollicité quelques semaines auparavant un prêt immobilier. Il avait toutes les chances de l’obtenir. Mais maintenant… ? Il imagina le directeur financier déchirant sa demande. Désormais, il ne pourrait plus acheter à crédit chez l’épicier avec la même confiance ni la même assurance des débuts de mois. Il se représenta l’épicier riant de toutes ses dents noires. Il songea à la timide demoiselle qui avait été embauchée au bureau quelques mois plus tôt. Cette fille lui plaisait. Il avait décidé de lui parler. Si elle était d’accord, il parlerait aussi à sa mère. Comme elle serait heureuse ! Mais à présent… ? Désormais, la jeune fille ne répondrait même plus à ses salutations. »