
J’ai extirpé un des romans qui dort depuis longtemps dans ma PAL.
Madeleine et Guillaume sont un jeune couple d’amoureux. Guillaume, traité de bâtard toute son enfance, abandonné par sa mère, élevé par la gouvernante, une vieille bigote, est d’un caractère doux mais faible. Madeleine, elle, a été obligée de se débrouiller seule et a vécu avec un homme, Jacques, sans être mariée, pendant un an. Les premiers temps de leur amour revêtent quelque chose de parfait et d’idyllique, ils se plaisent tant, se comprennent, se marient mais Madeleine, honteuse de son passé amoureux, en tait les détails que Guillaume préfère ignorer. Mais il se trouve que Jacques est le meilleur ami de Guillaume, un « frère » qui lui avait sauvé la mise lorsqu’adolescent, il se faisait conspuer par ses camarades. On apprend la mort de Jacques. Madeleine, catastrophée, tente de cacher le secret à son mari mais quelques événements fâcheux vont la contraindre à tout avouer.
Combien de fois, pendant la lecture, me suis-je dit « Mais pourquoi lire autre chose que Zola ? » : style, personnage, écriture, variété des registres, inventivité, intrigue sont d’une incroyable justesse. Le texte, qui était d’abord une pièce de théâtre, a été conçu bien avant les Rougon-Macquart, en 1868 (Zola a 28 ans). Pourtant on pressent les lignes directrices de sa fresque en vingt volumes : l’hérédité, le déterminisme, l’influence du milieu - l’explication d’une psychologie qui peut se trouver dans l’enfance et l’éducation. J’ai souri plusieurs fois au cours de ma lecture : Madeleine et Guillaume ont un couple d’amis, les Rieu, dont la femme, bien plus jeune que son vieillard de mari, ramène à la maison ses amants sous le nez du vieil homme sourd qui a, pourtant, tout compris. La vieille bigote qui a élevé Guillaume est effrayante dans sa dévotion culpabilisante ; vierge méchante et fouineuse, elle voit le Diable partout. Enfin, cette idée que le premier amant d’une femme transmettrait des ressemblances à l’enfant de cette femme… on ne sait pas si on doit en rire ou en pleurer. En tous cas, cette lecture a fait sur moi grande impression, j’ai trouvé le roman passionnant, Zola brillant, satirique et gothique à la fois.
« Il n’y avait plus un seul nuage au ciel ; la nappe d’un bleu sombre s’animait du fourmillement vivant d’un peuple d’étoiles. »
Mme de Rieu et son nouvel amant, Tiburce, un peu moins naïf et sot que les précédents : « Elle adorait le drôle au point que son mari devait prendre mille précautions pour ne pas les surprendre à tout instant au cou l’un de l’autre. Elle promenait Tiburce ainsi qu’un jeune chien, l’appelant, le cajolant du regard et de la voix. »
La déclaration d’amour de Guillaume à Madeleine : « Si tu voulais, Madeleine, nous nous en irions ainsi par les chemins, voyageant au jour le jour, couchant où le hasard nous pousserait, et repartant le lendemain pour l’inconnu. Nous quitterions la France, nous gagnerions à petites journées les pays de soleil et d’air pur. Et, dans ce renouvellement continuel des horizons, nous nous sentirions plus seuls, plus unis. Personne ne nous connaîtrait, pas un être n’aurait le droit de nous adresser la parole. Nous ne dormirions jamais qu’une nuit dans les auberges trouvées au bord des routes ; nos amours ne pourraient s’y fixer, nous nous détacherions bientôt du monde entier pour ne plus nous attacher que l’un à l’autre. Je rêve l’exil, Madeleine, l’exil qu’il me serait permis de vivre sur ton sein ; je désirerais n’emporter que toi, me sentir battu par le vent, me faire un oreiller de ta poitrine, là où la tempête m’aurait jeté. Rien n’existerait pour moi que cette poitrine blanche dans laquelle j’écouterais battre ton cœur. Puis, quand nous serions perdus au milieu d’un peuple dont nous ignorerions la langue, nous n’entendrions plus que nos causeries, nous pourrions regarder les passants comme des bêtes muettes et sourdes ; alors nous serions vraiment isolés nous traverserions les foules sans nous soucier de ces troupeaux du pas indifférent dont nous traversions autrefois, pendant nos promenades, les bandes de moutons qui broutaient les chaumes. Et nous marcherions ainsi à jamais... Veux-tu, Madeleine ? »
Madeleine et Guillaume s’essaient à fréquenter les mondains : « La nullité, la niaiserie de ce monde les fatigua. Ils perdirent toute espérance de se guérir dans la compagnie de pareils pantins. »