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6 mars 2023 1 06 /03 /mars /2023 15:55

Malheur Indifferent (Folio) de Peter Handke

Au rayon (très étendu) de mes lacunes, il y a Peter Handke, écrivain, scénariste, dramaturge et réalisateur autrichien, prix Nobel de Littérature 2019.

La mère de l’auteur-narrateur s’est suicidée en 1971, à l’âge de 51 ans. Dans ce court récit, Peter Handke retrace le parcours d’une vie à la fois fade et douloureuse. Née en Autriche dans une époque où la femme ne peut que se taire et s’occuper des tâches ménagères, elle aimerait « apprendre » mais ce désir étant très vite balayé, elle se contente du peu, du moins, voire du rien. Amoureuse du père de Peter, elle ne pourra rester avec lui et devra épouser et supporter un homme violent et alcoolique. D’acceptations en résignations, la vie suit son cours et les quelques plaisirs qu’elle s’octroiera seront vite balayés par des problèmes de santé invalidants. La mère souffre de migraines insupportables, un mal qui ne guérit pas. Son suicide est parfaitement organisé, elle écrit à ses proches, leur envoie son testament, s’apprête pour l’occasion…

L’absence d’émotions surprend d’emblée ; c’est sans pathos aucun que l’auteur raconte sa mère comme il aurait raconté la vie d’un inconnu. Il dissèque tout ce qu’il sait pour essayer de comprendre son acte final … qu’on conçoit aisément. Même au moment de l’annonce du décès, l’indifférence semble dominer, Peter se surprend à penser à autre chose devant le cadavre qu’il veille, il s’ennuie et son esprit divague. Il aimerait aussi faire un objet littéraire de ce qu’il écrit. Il a d’ailleurs attendu quelques semaines pour s’attabler à cette tâche. Et pourtant, la simplicité et la narration froide et objective fonctionnent et permettent de rendre un véritable hommage à la mère disparue, de livrer le portrait d’une femme déjà morte avant de se tuer, d’une vie sans consistance ni appétit. La distance placée entre la mère -d’ailleurs jamais nommée- et son fils rend compte de la pudeur de l’auteur et permet de se faire porte-parole de ce qui a été : une époque, une femme née au mauvais endroit, une pauvreté autant sociale qu’intellectuelle. Evidemment on ne peut pas ne pas songer à L’Etranger de Camus. J’ai beaucoup aimé ce texte fort qui se veut aussi réflexion sur l’écriture mais qui, surtout, célèbre l’effacée, met en lumière une discrète et lutte contre l’oubli.

« Naître femme dans ces conditions c’est directement la mort. »

« Elle n’était donc rien devenue, elle ne pouvait plus rien devenir non plus. »

« Même ce corps mort me semblait effroyablement abandonné et avide d’amour. »

« Ecrire n’était pas, comme je le croyais bien au début, me souvenir d’une période close de ma vie, ce n’était constamment que prendre cette attitude dans des phrases dont la distance n’est qu’arbitraire. »

« Un jour, le couteau m’a glissé des mains en coupant le pain, il m’est revenu aussitôt à l’esprit qu’elle coupait des petits morceaux de pain dans le lait chaud des enfants le matin. »

 

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3 mars 2023 5 03 /03 /mars /2023 15:54

Nos gloires secrètes - Poche - Tonino Benacquista - Achat Livre ou ebook |  fnac

Le titre de ce recueil de six nouvelles est assez explicite : les histoires nous projettent dans un passé obscur fait de secrets inavoués.

Dans « Meurtre dans la rue des Cascades », un jeune homme un peu paumé a malencontreusement tué un poivrot, copain d’un soir, en le jetant par-dessus une verrière. Jamais puni, jamais inquiété, il vivra une vie tapi dans ce secret terrible.

« L’Origine des fonds », c’est la revanche d’un auteur-compositeur très fortuné qui a des comptes à régler avec son passé. Nouvelle à chute qui fait sourire et fait bien plaisir.

« Le parfum des femmes » nous permet d’accompagner un grand nez, un parfumeur à la retraite, dans son grand appartement parisien où, seul, il s’ennuie et se souvient de ses heures de gloire passées lorsqu’il parfumait les plus belles femmes du monde. Une voisine, jeune et jolie, fait son apparition et lui permettra de manière complètement insolite, d’exercer une dernière fois son beau métier.

« Le rouge, le rose et le fuchsia » : un couple fait l’acquisition, chez un antiquaire, d’un petit bureau de secrétaire appelé un « bonheur-du-jour » mais c’est une photo sur le bureau du vendeur qui les attire encore plus. Leur imagination vagabonde loin de la réalité.

« Patience d’ange » est ma nouvelle préférée. Un couple lutte au quotidien avec la maladie de leur petit garçon, Justin. Un mal étrange le ronge depuis des mois : il est devenu inerte et muet. Contre toute attente, mère et père se sont rapprochés, ils ont trouvé un semblant d’équilibre mais ils restent emplis d’espoir au moment de ce rendez-vous avec un grand médecin…

« L’aboyeur » est celui qui annonce les invités lors des réceptions mondaines. Le richissime Christian fait appel à lui pour ses 50 ans : il a invité 50 personnes, des proches, des célébrités, des indispensables dans sa vie de nanti… Mais personne ne viendra jamais. L’occasion pour lui de partager ses confidences avec l’aboyeur et une partie de ses souvenirs, et les leçons à tirer de cet abandon généralisé. Je n’ai pu m’empêcher de penser à l’excellent Bal d’Irène Némirovsky.

 

J’ai beaucoup aimé ce recueil de nouvelles avec des textes variés, colorés, parfois un peu espiègles et coquins, célébrant la vie. Les histoires se lisent avec plaisir, elles sont distrayantes et parfois un brin philosophiques et m’ont rappelé celles d’un Eric-Emmanuel Schmitt. De l’auteur, j’ai presque tout lu et au fil du temps, je l’ai de moins en moins aimé. Saga, Malavita, Romanesque, Quelqu’un d’autre restent néanmoins d’excellents souvenirs.

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28 février 2023 2 28 /02 /février /2023 18:42

La dernière reine - Jean-Marc Rochette - Casterman - Grand format - Chez  mon libraire

Edouard Roux a grandi dans le Vercors et son enfance a été marquée par la mort du dernier ours, humilié par les hommes et sauvagement assassiné devant l’enfant. Soldat pendant la Première Guerre, il en sortira complètement abîmé et c’est une sculptrice, Jeanne, qui va lui offrir un nouveau visage… pas n’importe lequel, celui d’un kouros grec. Si, grâce à Jeanne, Edouard retrouve sa dignité, il rencontre aussi l’amour. Il emmène Jeanne dans son Vercors, elle s’en éprend immédiatement et y découvre un incroyable secret : une grotte cachée dont les parois sont recouvertes de dessins de nos ancêtres ainsi qu’un ours grandeur nature magnifiquement sculpté dans la pierre. Jeanne va le dessiner et le reproduire dans son atelier parisien. Le secret est et sera gardé par les deux êtres qui s’aiment mais l’air vicié de Paris et ses habitants trop souvent malhonnêtes vont éloigner encore une fois Jeanne et Edouard dans leurs montagnes chéries.

Au début de l’album, on ne sait pas tellement où on va, la chronologie est malmenée, le fil directeur c’est ce type un peu à part, Edouard Roux, un peu à part parce que plus proche de la nature et des animaux que des hommes ; mais c’est aussi le Vercors, région âpre, puissamment vivante, somptueusement primitive qui est le cœur de tout. Puis l’intrigue s’étoffe de mille subtilités, mise sur le beau, le sublime, l’engagé. Le dessin, quant à lui, charme et revêt ses plus beaux atours quand il est ancré dans la nature, les deux pieds dans l’herbe, à caresser la rudesse de la pierre et à scruter la pureté du ciel bleu. On pourrait même espérer que l’homme débarrasse le plancher, mais il en reste qui ne sont pas si mauvais…  C’est vraiment très très bon, le succès de ce bon gros album de 238 pages est mérité, le dessin simple, brut, essentiel s’accorde si bien à l’histoire racontée. Je terminerai par un très minuscule bémol (un bémolet en fait), le sombre de la plupart des planches là où elles méritaient tellement de lumière… ça ne m’empêche pas de faire de cette lecture un coup de cœur !

Je n’avais jamais lu Jean-Marc Rochette, ce fut une belle découverte, j’arrive un peu tard puisque le bonhomme semble avoir déclaré qu’il ne publierait plus d’albums. Il me reste tous ses autres à lire, tant mieux pour moi.

  « Ne t'inquiète pas. Je viens du pays des ours. Ma famille les connaît depuis toujours.

- Depuis toujours ?

- On respire le même air, on foule la même terre, on boit à la même source. On est de la même famille. L'ourse m'a dit que ces montagnes lui manquaient. Elle m'a parlé de l'arbre où elle avait l'habitude de se gratter. Elle m’a raconté le goût des framboises et des myrtilles et le vent frais du soir. Elle, si triste et si seule. »

 

  « Edouard, c'est un trésor universel. Cette sculpture est un vrai joyau. Elle va révolutionner l'histoire de l'art. Et l'histoire en général.

- Rien ne sortira d'ici, Jeanne. Seuls les membres de ma famille connaissent l'existence de cette grotte. A part toi et moi, personne ne connaît ce lieu. Nous sommes les gardiens de son sommeil. De ses rêves. Les hommes tuent la magie. Jure-moi que tu ne me trahiras pas. Personne ne doit la réveiller. »

La dernière Reine - cartonné - Jean-Marc Rochette, Jean-Marc Rochette,  Jean-Marc Rochette - Achat Livre ou ebook | fnac

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24 février 2023 5 24 /02 /février /2023 15:07

Trois questions à Anne Berest (“La Carte postale”, Grasset)

Je crois que c’est parce que j’avais entendu parler l’autrice dans une émission de radio et qu’elle m’avait un peu agacée que je n’avais pas voulu lire ce livre… Erreur que j’ai corrigée, vous voyez bien.

Anne Berest est la maman d’une petite fille qui, en sortant de l’école, lui dit qu’elle a l’impression qu’« à l’école, on n’aime pas trop les juifs ». Cette remarque bouleverse complètement la narratrice-autrice ; dans sa famille, la religion juive n’a jamais été pratiquée ; le mot même revêt une dimension abstraite et assez vide de sens. C’est à ce moment-là qu’elle se souvient d’une carte postale étrange reçue au domicile de sa mère, Lélia, quelques années auparavant et qui n’avait pour texte que les quatre noms « Ephraïm, Emma, Noémie, Jacques ». Les quatre aïeuls morts dans les camps d’extermination pendant la guerre, Ephraïm et Emma les parents de Noémie et Jacques et grands-parents de Lélia. La mère d’Anne lui raconte (enfin) l’histoire tragique morcelée et incomplète, celle d’Ephraïm et Emma, le couple de Russes qui a fui leur pays pour la Lettonie en 1919, avant de rejoindre la Pologne, puis la Palestine et enfin la France où les deux ont toujours tout fait pour s’intégrer et devenir français. L’histoire de Noémie et sa sœur Myriam, toujours complices, brillantes dans tout ce qu’elles entreprenaient, de belles ados avec un avenir radieux devant elle. Et celle du petit dernier, Jacques, qui a dû suivre Noémie lorsque les deux enfants étaient arrêtés pour on ne savait où encore… et pour ne jamais revenir. Après ce retour en arrière émouvant, Anne mène l’enquête, s’interroge sur l’entourage de Myriam la rescapée, notamment sa future belle-famille, les Picabia dont Vincente, cet être beau et très libre qui fera souffrir l’aînée. Anne n’aura de repos que lorsqu’elle pourra retrouver l’auteur de cette carte postale mais aussi retisser les liens entre elle et ses aïeules.

Quelle lecture passionnante ! Plus qu’un roman sur la Seconde Guerre mondiale et la déportation, c’est aussi une réflexion sur l’appartenance à la communauté juive, à la filiation, aux liens ténus tissés par-delà les décennies et donc à la psychogénéalogie. Anne a réussi à mieux se comprendre à travers ce personnage féminin, Myriam, qui lui a laissé en héritage des traits de caractère, des habitudes, une manière de penser. On y croit ou pas, en tous cas l’autrice nous le présente comme une évidence pour elle. Certains passages sont incontestablement poignants et très forts et je crois que c’est le retour des déportés, êtres rachitiques et hagards, accueillis dans ce grand hôtel du Lutetia, qui m’a le plus chamboulée. Deux univers qui se confrontent et ne se comprennent plus, ou plutôt le monde des vivants qui affronte celui qui ne porte plus de nom, qui n’a plus rien à voir avec l’humanité… Le roman raconte les faits avec simplicité et fluidité, il pose parfois des questions essentielles et interpelle les silences. Le silence occupe une place importante dans cette page d’Histoire effarante, un silence parfois contraint, souvent indispensable et évident pour celui qui se tait, douloureux pour celui en quête de réponses. Anne Berest a levé un coin du voile, elle le fait avec sincérité et pudeur, le résultat est magnifique. Et on ne peut s’empêcher de penser à toutes ces familles brisées où le silence n’a pas permis de combler les trous, les manques, les vides. Un roman à lire absolument et un coup de cœur pour moi.

Il se trouve que j’ai déjà lu cette autrice et je l’avais complètement oublié : Recherche femme parfaite.

L’antisémitisme ne date évidemment pas de la guerre mais elle y a trouvé de quoi s’engraisser : « L'exposition débute le 5 septembre 1941, elle a pour fonction d'expliquer aux Parisiens pourquoi les Juifs forment une race dangereuse pour la France. Il s'agit de prouver « scientifiquement » qu'ils sont avides, menteurs, corrompus, obsédés sexuels. Cette manipulation de l'opinion publique permet de démontrer que l'ennemi de la France, c’est le Juif. Pas l’Allemand. L'exposition est pédagogique et ludique. Dès l'entrée, les visiteurs peuvent se faire photographier devant la reproduction géante d'un juif. Des maquettes mettent en scène différents faciès : des nez crochus, des lèvres épaisses, des cheveux sales.

L’administration française a mis des années à reconnaître que Jacques et Noémie étaient morts à Auschwitz : «  on refusait de dire que les juifs étaient déportés pour des questions raciales.  On disait que c'était pour des raisons politiques. Les associations d'anciens déportés obtiendront seulement en 1996 la reconnaissance de « mort en déportation » ainsi que la rectification des actes de décès ».

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21 février 2023 2 21 /02 /février /2023 10:07

L'eau rouge - Jurica Pavičič - Leslibraires.fr

En 1989, en Croatie, dans une petite ville côtière, une famille vit ses derniers instants insouciants : les jumeaux de 17 ans, Silva et Mate, et leurs parents Vesna et Jakov dînent ensemble. Les jeunes sortent mais Silva ne reviendra pas. Jamais. Sa disparition plonge les trois autres membres de la famille dans l’effroi, les hommes partent à sa recherche en parallèle du travail de la police et la mère tombe dans une grande hébétude. Les mois passent et les pistes sont maigres jusqu’au jour où une jeune femme, Elda, se souvient avoir vu Silva le lendemain de sa disparition, à la gare routière, prête à quitter le pays. C’est un beau cadeau pour la famille de savoir que Silva a disparu de son plein gré mais, surtout, est sans doute encore vivante. Mate n’en poursuit pas moins ses recherches et, quelques années plus tard, à l’heure d’internet, il va créer un site pour retrouver Silva, il va continuer à voyager partout où les moindres pistes et indices le mèneront. Et retrouver Elda, la femme qui a vu Silva pour la dernière fois…

C’est un polar totalement réussi qui prend son temps et se laisse goûter doucettement. Ce qui est appréciable, c’est, qu’en plus de l’enquête, du portrait précis et juste qui est brossé des personnages, une photographie de la Yougoslavie puis de la Croatie est faite sur une période allant de 1989 à 2017. Roman noir qui offre la rétrospective d’un pays qui a été communiste, qui a connu la guerre civile, qui est entré dans l’Europe avant de voir le tourisme se développer… et fait un constat plus négatif que positif : simplicité et authenticité ont cédé la place à quelque chose de surfait et d’artificiel, la gangrène a pris. En somme, un roman prenant et intéressant qui a obtenu de belles récompenses amplement méritées ; je recommande vivement !

Le jour des dix-sept ans de Silva, sans elle : « Silva, elle, n’est ni morte ni vivante. Silva a disparu et pour une personne disparue, vous n'allez pas au cimetière, vous ne préparez pas de gâteau. Vous ne pouvez rien fêter avec elle, vous ne pouvez pas la pleurer, vous ne pouvez pas échanger avec elle ou échafauder des projets. Si Silva p n'avait pas disparu, ils parleraient avec elle de ses études futures, de son permis de conduire, de sa place à la cité universitaire. En lieu et place de Silva vivante, ils ont maintenant une photo d'elle. Vesna l’a placée à un endroit visible, au-dessus de la table de la salle de séjour. Elle l’a placée là comme le rappel constant qu'ils ne sont pas au complet, qu'il leur reste en permanence une tâche à accomplir, un manque à combler. »

« Bien que la nuit soit calme, qu'il n'y ait pas de vent, l'eau n'est pas tranquille. Elle ondule, elle se cabre et vient cogner contre la roche, elle fait des vagues qui s'entrechoquent et s'écrasent contre les parois verticales. C’est le soir. L’eau est d’un bleu foncé. Et d’un coup, de bleue elle devient rouge.  Elle prend la couleur du sang et commence à grossir, comme lors de l’inondation biblique de l’Egypte. Les eaux rouges grossissent et grossissent. »

C'est encore un cadeau de Michaël que je remercie +++ et qui décidément a encore tapé dans le mille !

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18 février 2023 6 18 /02 /février /2023 10:07

Humaine, trop humaine - relié - Catherine Meurisse, Catherine Meurisse -  Achat Livre ou ebook | fnac

En 93 pages, Catherine Meurisse passe en revue une cinquantaine de philosophes dont on connaît tous les noms (étonnant finalement…) sans en comprendre vraiment les idées : Aristote, Descartes, Sartre, Schopenhauer, Pascal, Platon, Machiavel, Spinoza, Voltaire, Marx, Montaigne, Simone Veil, etc. Parfois, elle nous donne un aperçu très bref de leurs principes, parfois elle se moque d’eux, les ramenant à notre époque (Pascal passe sa journée sur son portable, Héraclite se baigne dans une eau polluée, Aristote réfléchit aux logos des grandes marques, Bergson a créé un « Comedy club » et Darwin teste la sélection naturelle avec des visios), évoquant aussi la complexité et l’opacité de leurs démarches pour le commun des mortels.

J’ai toujours beaucoup aimé le travail de Catherine Meurisse et j’ai souvent fait de ses BD de véritables coups de cœur (La Légèreté, Les grands espaces, Mes hommes de lettres). J’avoue pourtant avoir été un peu déçue par cette lecture parce que j’en attendais autre chose. Assez réceptive à la philosophie depuis mes premiers cours de Terminale, je m’étais longtemps fixé pour objectif d’y retourner pour de bon. Faute de temps, je ne l’ai jamais fait. Et je crois que j’attendais de cette BD une plongée dans la philo telle que je l’aimais jadis, or, Catherine Meurisse ne fait qu’effleurer les plus grands philosophes du doigt, elle malmène même certains en les tournant en ridicule et, au final, on n’apprend pas grand-chose. Donc, je suis plutôt déçue parce que mon attente n’a pas été comblée. A part ce petit caprice, l’ouvrage balaie toutes les époques de l’Antiquité à nos jours, offrant une vision -certes lapidaire- des principes et idées de ces grands noms mais il a pour mérite de les rendre modernes et actuels. C’est également très drôle quand Catherine Meurisse s’insurge contre certaines idées sclérosées comme la misogynie (Diderot en prend pour son grade et Fénelon se fait avaler par l’aspirateur de la femme qu’il ose humilier : « Une femme correcte est une femme qui ne lit pas. ») ou la vanité de certaines pensées. A noter qu’il n'y a que trois femmes dans le lot…

A vos micros : « Kant on n’a que l’amooouuur…

       Dis… Kant reviendras-tu ? Dis… au moins le sais-tu ?

      Kant la musique est bonne !!!

      Kant t’es dans le désert … depuis trop longtemps… »

Humaine, trop humaine - relié - Catherine Meurisse, Catherine Meurisse -  Achat Livre ou ebook | fnac

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14 février 2023 2 14 /02 /février /2023 14:44

 

Madame Pylinska et le secret de Chopin, Éric-Emmanuel Schmitt | Livre de  Poche

Je ne pouvais pas ne pas faire de billet sur ce spectacle absolument bouleversant. Pour la petite anecdote, j’y suis allée avec ma grosse valise pleine d’a priori, à savoir, Eric-Emmanuel Schmitt est certes un bon romancier (excellent pour certaines de ses œuvres mais pas toutes), un superbe conteur mais certainement pas un bon comédien. Et puis, ce spectacle, ça doit être une démonstration d’auto-flagornerie, bref, le type pour moi était un peu pédant et prétentieux. Eh bien, j’en ai pris pour mon grade !

A l’âge de neuf ans, Éric entend jouer de la musique sur le piano familial véritablement pour la première fois ; c’est sa tante Aimée qui lui a montré que la musique de Chopin surtout, pouvait l’emmener « ailleurs », dans un univers sublime et merveilleux. Éric attendra sa majorité et ses études à Paris pour reprendre les cours de piano auprès d’une certaine Mme Pylinska, une dame d’une cinquantaine d’années, très particulière, acariâtre et fantasque, qui multiplie les conseils aussi fantaisistes qu’incompréhensibles. Éric ne jouera pas tout de suite sur l’instrument. Non. Son premier devoir est d’aller, tous les matins, au jardin du Luxembourg, cueillir des fleurs sans en ôter la rosée. Il apprendra ainsi la délicatesse du doigté. Pour comprendre à quel point main droit et main gauche sont à la fois dissociées mais complémentaires, il devra observer longuement le jeu du vent dans les feuilles des arbres (la main droite) ainsi que la stabilité du tronc sous le souffle (la main gauche). Il s’agira encore de faire des ronds dans l’eau ou de faire l’amour très lentement et de regarder l’être aimé dans les yeux. D’incompréhensions en sautes d’humeur, Éric se laissera finalement apprivoiser par cette grande dame qui, en plus de lui apprendre à vraiment jouer du piano avec âme et émotions, lui enseignera à vivre son existence pleinement, à trouver la bonne « porte ».

Eric-Emmanuel Schmitt a écrit ce récit en 2018 et cette adaptation théâtrale a été mise en scène par Pascal Faber. L'auteur-comédien endosse plusieurs personnages : lui-même, Mme Pylinska ou encore Aimée, cette tante adorée qui lui révélera son secret ainsi que le « secret de Chopin ». L’auteur se révèle être sur scène incroyablement talentueux, il porte la voix avec justesse, change de personnage avec brio, rend honneur aux mots magnifiques qu’il a lui-même écrits. Cette virtuosité et cette élégance sont accompagnées d’un pianiste, pas n’importe lequel, Nicolas Stavy subjugue le public avec Chopin, nous permettant de découvrir ou de redécouvrir ses plus belles œuvres. L’ensemble -près de deux heures de bonheur- se révèle être drôle, tendre et d’une bouleversante beauté ; en nous révélant un pan de sa vie, Schmitt nous renvoie à l’essence même de notre existence. Sur une musique de Chopin à se damner ! Je ne suis pas la seule à être sortie de là complètement retournée et fascinée avec des étincelles enchanteresses dans les yeux. Si vous le pouvez, courez voir Monsieur Schmitt, il tourne dans de petites salles de province en France et en Belgique jusqu’en avril.

COUP DE COEUR !

Les dates : https://www.eric-emmanuel-schmitt.com/news.cfm?nomenclatureid=1788&newsid=636

« Ecris ! Ecris toujours en pensant à ce que t'a appris Chopin. Ecris piano fermé, ne harangue pas les foules. Ne parle qu'à moi, qu'à lui, qu’à elle. Demeure dans l'intime. Ne dépasse pas le cercle d'amis. Un créateur ne compose pas pour la masse, il s'adresse à un individu. Chopin reste une solitude qui devise avec une autre solitude. Imite-le. N’écris pas en faisant du bruit, s'il te plaît, plutôt en faisant du silence. Concentre celui que tu vises, invite-le à rentrer dans la nuance. Les plus beaux sons d’un texte ne sont pas les plus puissants, mais les plus doux. »

Valréas, Nuits de l'Enclave : « Madame Pylinska et le secret de Chopin »,  de et avec Eric-Emmanuel Schmitt. Le 18/7/22

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11 février 2023 6 11 /02 /février /2023 12:33

Chéri, Colette | Livre de Poche

Vous n’ignorez sans doute pas qu’en 2023, on célèbre le 150è anniversaire de la naissance de Colette. Féministe et avant-gardiste, elle a su bousculer son époque. C’était l’occasion pour moi de sortir un de ses romans de ma PAL.

Léa de Lonval, une demi-mondaine, a presque 50 ans mais un amant de vingt-quatre ans de moins, Fred, surnommé Chéri, fils d’une amie, Charlotte Peloux. Et ça fait six ans que ça dure. Chéri doit cependant se marier à Edmée, une très belle jeune fille de 19 ans. Léa vit très bien la chose, Chéri aussi, ils se séparent, ce n’est pas grave, la vie continue. Pas tant que cela, en fait. Léa souffre de l’absence de Chéri et lui, malgré les fastes, le voyage en Italie et la jeunesse de son épouse, s’agace assez vite de cette vie conjugale avec une femme qu’il n’aime pas. Edmée n’est pas sotte au point de ne rien voir. Léa s’occupe comme elle peut mais le manque de Chéri se fait ressentir chaque jour… jusqu’au moment où Chéri lui revient, tout sourire.

Sous des abords légers et sensuels (le roman – presque un huis clos - se passe essentiellement dans la chambre de Léa), l’histoire d’amour tend à évoquer une réflexion sur la différence d’âge et surtout le statut de la femme vieillissante, à quel point peut-elle encore plaire et séduire. Le récit se veut malin parce qu’oscillant sans cesse entre une moralité sévère (la relation est quasi incestueuse, Chéri appelle Léa « Nounoune ») et une liberté de mœurs et une émancipation féminine plutôt jouissives. La fin tranche tout de même, et brutalement, c’est peut-être dommage. La place de la domestique m’a fait sourire, Rose, témoin de tout ou presque et qui doit évidemment rester muette. J’ai en tous cas pris un grand plaisir à lire cette page d’amour, j’en lis si peu.

 

« Ne cherche pas, va, disait bonnement Léa. Oui, tu me hais. Viens m'embrasser. Beau démon. Ange maudit. Petit serin… »

« Un petit éclat de rire étranglé, qu'elle ne put retenir, avertit Léa qu'elle était bien près de s'abandonner à la plus terrible joie de sa vie. Une étreinte, la chute, le lit ouvert, deux corps qui se soudent comme les deux tronçons vivants d'une même bête coupée… »

«  Il s'écarta d'elle pour l'écouter : et elle faillit lui crier : « Remets cette main sur ma poitrine et tes ongles dans leur marque, ma force me quitte dès que ta chair s'éloigne de moi ! »

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8 février 2023 3 08 /02 /février /2023 17:24

Microcosme - Les rêveursLes rêveurs

Je ne loupe pas une sortie d’un de mes auteurs BD fétiches. Ce n’est pas exactement une nouvelle sortie ici mais une réédition avec quelques pages-cadeau d’un album au format original, publié pour la première fois en 2014.

Si les taches devenaient des personnages ? Qu’à cela ne tienne, ils formeront une petite tribu d’êtres un peu (beaucoup) cinglés composée de Jean-Jacques et de Brigitte. De beaucoup de Jean-Jacques de beaucoup de Brigitte. Parmi eux, un suicidaire, un autre qui annonce régulièrement la fin du monde, celui qui couche avec la femme du pote, un tueur en série, un chômeur, une femme facile, celui qui accepte que son pote couche avec sa femme, … entre autres. Ça grouille d’humour noir, de mauvaise foi, de cynisme, de sexe, de remarques graveleuses et de réflexions bien potaches ; l’absurde n’est pas en reste… il y a même quelques (rares) blagounettes mignonnettes. C’est un méli-mélo de n’importe quoi mais finalement comme les taches, ça peut donner quelque chose de (presque) joli et de très drôle. Attention, la couverture guillerette est trompeuse, c’est à ne pas mettre entre toutes les mains. Le pote Jean-Yves Ferri vient clore l’album après les quelques pages inédites de Larcenet. Ça se lit !

Petits exemples de dialogue :

  • Depuis que Brigitte m'a quitté, je dois m'occuper seul des mômes... C’est qu’on en a plein, en plus ! J’en peux plus, je vais crever !
  • Dur.
  • T’en as des mômes, toi ?
  • Nan.
  • T’en veux ? J’en ai en double.

 

  • Pute, pute, ppppute, morue ! Chuis le tueur en série et je vais te crever, poufiasse ! J’vais tellement t’égorger Que tu sentiras même pas quand je violerai tes restes démembrés !!
  • C'est peut-être un peu ambitieux comme programme, pour un premier rendez-vous, Jean-Jacques. Si nous commencions par dîner ?

 

  • Allons enfants de la patrieuh le jour de gloire est arrivéheu
  • Bin qu'est ce qui te prend ?
  • je ne sais pas… je… je crois que je deviens nationaliste…
  • Ah bin c'est ce qui arrive quand on est une des plus grosses taches du pays.

Microcosme, bd chez Les Rêveurs de Ferri, Larcenet

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5 février 2023 7 05 /02 /février /2023 12:42

84, Charing Cross Road d'Helene Hanff | Carolivre

Le hasard nous réserve de petites surprises bien sympathiques et il se trouve que c’est le deuxième recueil épistolaire que je lis en une semaine (alors que c’est une denrée rare, il faut bien l’admettre). Pour la petite histoire, j’ai choisi ce titre parce qu’à ma bibliothèque, il jouxtait Handke.

Nous avons là un véritable échange de lettres authentiques (amis de la redondance, bonjour) entre l’autrice, Helene Hanff et les employés d’une librairie d’occasion de Londres, Marks & Co, située au 84 Charing Cross Road. Octobre 1949 : une écrivaine fauchée vit à New-York. Elle est tombée sur une publicité vantant les prestations d’une librairie londonienne spécialisée dans les livres épuisés. Et elle se met à commander des livres, on lui envoie, elle réécrit, on lui répond, elle en commande encore et encore. L’échange entre Helene et Frank Doel va s’élargir à d’autres employés de la librairie, à la femme de Frank, à ses filles… Helene va plaire de plus en plus, ses lettres sont attendues d’autant qu’elle envoie régulièrement d’Amérique des colis de nourriture très appréciés en ces temps de crise en Angleterre. Les échanges s’espacent mais ne cessent pas pour autant et cette correspondance va durer de 1949 à 1969.

Quel livre charmant ! Est-ce parce qu’on s’attache d’emblée aux protagonistes ? Ou parce qu’on nous plonge dans une époque de rationnement où il était difficile de trouver des œufs frais ? Ou est-ce cette langue si belle, cette manière courtoise de communiquer qui séduit ? Un peu de tout cela sans doute. Savoir que des livres ont créé un pont entre l’Angleterre et les Etats-Unis, ont permis de nouer des liens forts autour de la lecture, des conseils de lecture, des auteurs tels Jane Austen, Tocqueville, Platon, Kenneth Grahame, Catulle ou Stevenson (ou encore d’autres moins connus) fait soupirer de bonheur. La magie opère, on tourne les pages avec délice, regrettant qu’il n’y en ait pas plus. Sans doute que beaucoup connaissent l’adaptation cinéma de David Hugh Jones avec Anthony Hopkins et Anne Bancroft.

Poster 84 Charing Cross Road (B) 27,9 x 43,2 cm : Amazon.fr: Cuisine et  Maison

« Cher Frank :

Voulais vous écrire le jour où j'ai reçu le Pêcheur, juste pour vous remercier, les gravures à elles seules valent dix fois le prix du livre. Quel monde étrange que le nôtre où on peut posséder une chose aussi belle à vie pour le prix d'un ticket pour un grand cinéma de Broadway, ou pour le 1/50 du prix d’une couronne chez le dentiste !

Enfin, si le prix de vos livres correspondait à leur vraie valeur, je ne pourrais pas me les offrir !

Vous serez stupéfait d'apprendre que moi qui n'aime pas les romans j'ai fini par me mettre à Jane Austen et me suis prise de passion pour Orgueil et préjugé, que je ne pourrai pas arriver à rendre à la bibliothèque avant que vous ne m'en ayez trouvé un exemplaire.

Cordiales pensées à Nora et aux esclaves.

                                               HH »

 

 

 

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