Au rayon (très étendu) de mes lacunes, il y a Peter Handke, écrivain, scénariste, dramaturge et réalisateur autrichien, prix Nobel de Littérature 2019.
La mère de l’auteur-narrateur s’est suicidée en 1971, à l’âge de 51 ans. Dans ce court récit, Peter Handke retrace le parcours d’une vie à la fois fade et douloureuse. Née en Autriche dans une époque où la femme ne peut que se taire et s’occuper des tâches ménagères, elle aimerait « apprendre » mais ce désir étant très vite balayé, elle se contente du peu, du moins, voire du rien. Amoureuse du père de Peter, elle ne pourra rester avec lui et devra épouser et supporter un homme violent et alcoolique. D’acceptations en résignations, la vie suit son cours et les quelques plaisirs qu’elle s’octroiera seront vite balayés par des problèmes de santé invalidants. La mère souffre de migraines insupportables, un mal qui ne guérit pas. Son suicide est parfaitement organisé, elle écrit à ses proches, leur envoie son testament, s’apprête pour l’occasion…
L’absence d’émotions surprend d’emblée ; c’est sans pathos aucun que l’auteur raconte sa mère comme il aurait raconté la vie d’un inconnu. Il dissèque tout ce qu’il sait pour essayer de comprendre son acte final … qu’on conçoit aisément. Même au moment de l’annonce du décès, l’indifférence semble dominer, Peter se surprend à penser à autre chose devant le cadavre qu’il veille, il s’ennuie et son esprit divague. Il aimerait aussi faire un objet littéraire de ce qu’il écrit. Il a d’ailleurs attendu quelques semaines pour s’attabler à cette tâche. Et pourtant, la simplicité et la narration froide et objective fonctionnent et permettent de rendre un véritable hommage à la mère disparue, de livrer le portrait d’une femme déjà morte avant de se tuer, d’une vie sans consistance ni appétit. La distance placée entre la mère -d’ailleurs jamais nommée- et son fils rend compte de la pudeur de l’auteur et permet de se faire porte-parole de ce qui a été : une époque, une femme née au mauvais endroit, une pauvreté autant sociale qu’intellectuelle. Evidemment on ne peut pas ne pas songer à L’Etranger de Camus. J’ai beaucoup aimé ce texte fort qui se veut aussi réflexion sur l’écriture mais qui, surtout, célèbre l’effacée, met en lumière une discrète et lutte contre l’oubli.
« Naître femme dans ces conditions c’est directement la mort. »
« Elle n’était donc rien devenue, elle ne pouvait plus rien devenir non plus. »
« Même ce corps mort me semblait effroyablement abandonné et avide d’amour. »
« Ecrire n’était pas, comme je le croyais bien au début, me souvenir d’une période close de ma vie, ce n’était constamment que prendre cette attitude dans des phrases dont la distance n’est qu’arbitraire. »
« Un jour, le couteau m’a glissé des mains en coupant le pain, il m’est revenu aussitôt à l’esprit qu’elle coupait des petits morceaux de pain dans le lait chaud des enfants le matin. »