Je ne pouvais pas passer à côté de l’adaptation d’un roman magnifique écrit par un de mes artistes préférés.
Après une enfance insouciante, gaie et colorée sous le soleil de Bujumbura, au Burundi, les parents du petit Gabriel se séparent, la guerre civile éclate, le génocide sévit alors qu’il n’y a qu’une petite différence de nez entre les Hutus et les Tutsis... Gabriel va voir mourir une partie de sa famille, sa mère devenir folle et va devoir s’exiler en France. (résumé plus détaillé ici)
Pari réussi ! Si la BD prend quelques libertés avec le roman (des ajouts parfois étranges comme ce vautour que la famille a domestiqué, par exemple...), qu’elle a tendance à appuyer sur les clichés, elle a vraiment gardé l’esprit du roman, cette dichotomie entre le monde d’avant et celui d’après, la violence qui heurte et tue l’innocence de l’enfance, cette poésie qui effleure les bons moments et surtout la nostalgie de la paix à la fin du livre. Dans Brut, Gaël Faye a confié qu’il s’est reconnu dans les visages et les paysages dessinés parce que Sylvain Savoia s’est inspiré de documents personnels, photos de l’époque et photos de famille de l’artiste (ça vaut de l’or). J’ai bien aimé me laisser surprendre par des personnages et des panoramas que je voyais autrement mais qui ne m’ont pas déçue. L’impasse où vit Gabriel et ses copains est vraiment différente de celle que je m’étais créée, par exemple. J’ai trouvé très juste de représenter les scènes de guerre dans la crudité de leur réalité et ne pas omettre les horreurs racontées dans le livre d’inspiration autobiographique. On sent une belle cohésion entre les trois auteurs pour aboutir à un ouvrage de 126 planches. Bref, lisez et le roman et la BD qui valent vraiment le détour, ne serait-ce que pour commémorer le massacre de 1974.
--- coup de coeur ---
Ces lignes que j’aime tellement :
« Des jours et des nuits qu’il neige sur Bujumbura.
Des colombes s’exilent dans un ciel l’auteur, les enfants des rues décorent des sapins de mangues rouges, jaunes et vertes.
Des paysans descendent tout schuss de la colline à la plaine, dévalent les grandes avenues dans des luges de fer et de bambou. Le lac Tanganyika est une patinoire où des hippopotames albinos glissent sur leurs ventres mous.
Des jours et des nuits qu’il neige sur Bujumbura.
Les nuages sont des moutons dans une prairie d’azur. Les casernes des hôpitaux vides, les prisons des écoles saupoudrées de chaux. La radio diffuse des chants d’oiseaux rares.
Le peuple a sorti son drapeau blanc, se livre des batailles de boules de neige dans des champs de coton. Les rires résonnent, déclenchent des avalanches de sucre glace dans la montagne.
Des jours et des nuits qu’il neige sur Bujumbura.
Les soûlards du cabaret boivent au grand jour un laid chaud dans des calices de porcelaine. Le ciel démesuré s’emplit d’étoiles qui clignotent comme des illuminations de Times Square.
Des jours et des nuits qu'il neige sur Bujumbura. Te l'ai-je déjà dit ?
Les flocons se posent délicatement à la surface des choses, recouvrent l'infini, imprègnent le monde de leur blancheur absolue jusqu'au fond de nos cœurs d'ivoire. Il n'y a plus ni paradis ni enfer. Demain, les chiens se tairont. Les volcans dormiront. Le peuple votera blanc. Nos fantômes en robe de mariée s'en iront dans le frimas des rues. Nous serons immortels.
Depuis des jours et des nuits, il neige.
Bujumbura est immaculé.»