Je ne connaissais Labiche qu’à travers des extraits lus çà et là. Je suis un peu plus à l’aise avec Feydeau dont j’ai lu quelques pièces, une même que j’ai jouée.
Une première donc pour cette pièce… et peut-être une dernière (aïe !)
Fadinard est un rentier qui s’apprête à épouser Hélène - la jeune, jolie et naïve Hélène. Le matin même, son cheval mange malencontreusement le chapeau de paille d’Anaïs, une femme mariée qui était en train de fricoter avec un militaire. Ce dernier menace Fadinard de compromettre son mariage s'il ne retrouve pas un chapeau de paille d'Italie identique. Le mari d’Anaïs serait furieux si elle rentrait sans. S’en suit un va-et-vient continuel, des déplacements sportivement rocambolesques dans lesquels Fadinard sera accompagné de son beau-père qui, se doutant de quelque chose mais ne sachant rien… répète sans cesse « tout est rompu ! ». Fadinard se rend chez une modiste en quête du fameux chapeau, la modiste n’est autre qu’une « ancienne » qu’il avait lâchement abandonnée. Pour se faire pardonner, il lui promet le mariage… et voilà que notre bonhomme s’enfonce à chaque fois un peu plus dans les complications.
Il faut lire la pièce en se préparant à du grand n’importe quoi. Les invraisemblances sont nombreuses, l’auteur frôle même l’absurde plusieurs fois, les personnages sont tous plus niais les uns que les autres, ce mouvement perpétuel donne le tournis !
J’imagine une mise en scène de la pièce et l’idée est vertigineuse ! Il y a foule sur scène, je rappelle que non seulement le beau-père de Fadinard le suit partout comme un petit chien, mais toute la noce, suit, elle aussi ! L'odyssée burlesque suppose aussi beaucoup de bruits, de mouvements, de tapages.
En creusant un peu bien sûr, on lit aussi dans cette pièce quelques jeux de mots délicieux, et surtout une satire de la petite bourgeoisie, une photographie authentique d’une époque, d’un milieu, d’un monde. Zola a d’ailleurs a donné son avis en ces termes : « Dans notre vaudeville contemporain, on n’a encore rien imaginé de mieux, d’une fantaisie plus folle ni plus large, d’un rire plus sain ni plus franc […]. Cette farce reste immortelle ». Immortelle peut-être mais elle ne connaît pas la modernité des pièces de Molière ni leur incontestable universalité !
Extrait du monologue de Fadinard (I, 4) :
« Enfin... dans une heure, je serai marié... je n'entendrai plus mon beau-père me crier à chaque instant: "Mon gendre, tout est rompu!..." Vous êtes-vous trouvé quelquefois en relations avec un porc-épic? Tel est mon beau-père!... J'ai fait sa connaissance dans un omnibus... Son premier mot fut un coup de pied... J'allais lui répondre un coup de poing, quand un regard de sa fille me fit ouvrir la main... et je passai ses six gros sous au conducteur... Après ce service il ne tarda pas à m'avouer qu'il était pépiniériste à Charentonneau... Voyez comme l'amour rend ingénieux... Je lui dis: "Monsieur, vendez-vous de la graine de carottes?" - Il me répondit: "Non, mais j'ai de bien beaux géraniums." Cette réponse fut un éclair. "Combien le pot? - Quatre francs. - Marchons!" - Arrivés chez lui, je choisis quatre pots (c'était justement la fête de mon portier), et je lui demande la main de sa fille. - "Qui êtes-vous? - J'ai vingt-deux francs de rente... - Sortez! - Par jour! - Asseyez-vous donc!" Admirez-vous la laideur de son caractère! A partir de ce moment, je fus admis à partager sa soupe aux choux en compagnie du cousin Bobin, un grand dadais qui a la manie d'embrasser tout le monde... surtout ma femme... On me répond à ça: "Bah! ils ont été élevés ensemble! Ce n'est pas une raison... Et une fois marié... Marié!!! (Au public.) Etes-vous comme moi?... Ce mot me met une fourmi à chaque pointe de cheveu... Il n'y a pas à dire... dans une heure, je le serai... (Vivement.) marié!... J'aurai une petite femme à moi tout seul!... et je pourrai l'embrasser sans que le porc-épic que vous savez me crie: "Monsieur, on ne marche pas dans les plates-bandes!" Pauvre petite femme!... (Au public.) Eh bien, je crois que je lui serai fidèle... parole d'honneur!... Non?... Oh! que si!... Elle est si gentille, mon Hélène!... sous sa couronne de mariée!... »