Sous-titre : « sans oublier le chien »
Je ne sais pas si tel est votre cas, j’en ai entendu parler de ce livre, un bon nombre de fois, certains romans que j’ai lus y ont fait allusion (bien sûr, j’ai oublié les titres !), la quatrième de couverture rappelant toutes les critiques négatives est plus qu’intrigante… restait plus qu’à le lire !
Sachez, avant tout, que ce roman a connu un succès immense en Grand-Bretagne à la fin du XIXème siècle. Les critiques décrièrent l’humour et le style de l’auteur alors que l’éditeur se demandait « ce que deviennent tous les exemplaires que je publie. Je crois que le public doit les manger. »
Trois copains : Harris, George, le narrateur Jerome (et son chien, Montmorency) décident, d’entreprendre un voyage en canot sur la Tamise. La promenade sur le fleuve permet de découvrir le pays et ses bonnes adresses. L’auteur dissémine aussi des réflexions plus profondes : sur la mode, l’éternelle insatisfaction de l’être humain, l’ironie du sort. Mais le roman est enfin dédié à ces trois gais lurons, des êtres douillets, coquets, de mauvaise foi, prétentieux, misogynes, capricieux, maladroits, paresseux, et j’en passe.
Montrons à quel point nos trois compères peuvent être des emmerdeurs : n’aimant pas les bateaux à vapeur, ils bloquent leur passage, feignant de ne pas entendre leurs sifflements ni les cris des gens à bord, ni les appels des passants. Ils se désespèrent également de ne pas avoir emporté de moutarde, « cette absence de moutarde jeta un froid sur le bateau. Nous mangeâmes notre bœuf sans mot dire. L’existence nous paraissait vide et terne. Nous songions en soupirant aux jours heureux de notre enfance. »
La Bruyère et Rousseau me sont spontanément venus à l’esprit pour les réflexions répandues çà et là et pour le caractère bucolico-philosophique du voyage ; j’ai aimé certains passages mais j’ai également passé beaucoup de temps à m’ennuyer ! Que de digressions ! Un méli-mélo qui faisait beaucoup rire les Anglais … et peut-être faut-il un peu l’être, Anglais, pour apprécier cet humour pleinement.
Lorsque des paresseux entreprennent d’éplucher des pommes de terre : « Je n’aurais jamais pensé que c’était une telle besogne que de peler des pommes de terre. Un vrai travail d’Hercule. Nous commençâmes gaiement, je dirais presque d’une amnière folâtre, mais la première pomme de terre n’était aps achevée que notre insouciance avait disparu. Plus nous pelions, plus il semblait rester de peau. »
« Non pas que je rechigne au travail, notez le bien; j'aime le travail, il m'enchante. Je resterais des heures à le contempler. J'adore l'avoir auprès de moi. L'idée d'en être séparé me fend le cœur. »
Et une vision poétique de la Tamise : « La Tamise... quand le soleil étincelle sur ses vaguelettes dansantes, parant de reflets d’or les trous vert-de-gris des hêtres, dardant de ses jets de lumière les couverts frais et sombres, faisant se réfugier les ombres dans les combes, incrustant de diamants les roues des moulins, lançant des baisers aux lis, se fondant dans l’écume des écluses, argentant les murs et les ponts moussus, égayant le moindre hameau, auréolant les sentiers et les prairies, s’accrochant aux buissons, souriant dans chaque crique, éclatant gaiement sur la voile blanche, imprégnant l’air de splendeur... Oui, la Tamise est un beau fleuve doré.
Mais la Tamise... triste et glacée, quand la pluie incessante tombe sur les eaux brunes et mornes, murmurant comme une femme qui pleure tout bas dans quelque obscure cellule, quand les bois, sombres et silencieux, frissonnent parmi les brumes vaporeuses, et que leurs plus grands arbres se tiennent à leur orée, fantômes muets des mauvaises actions et des amis abandonnés... La Tamise n’est plus qu’une eau hantée coulant à travers le pays des vains regrets.
Le soleil est le sang de la nature. Notre mère la terre nous regarde avec des yeux tellement tristes et sans âme quand il s’est retiré d’elle. On dirait qu’elle ne nous connaît plus, qu’elle ne nous aime plus. Elle est pareille à la veuve qui a perdu son cher ami et que ses enfants prennent par la main et cherchent du regard, sans pouvoir lui arracher le moindre sourire. »
Et les belles vieilles éditions…