J’avais tant entendu dire du bien de cet auteur qu’il me tardait de la découvrir. Je n’ai pas été déçue !
L’image initiale, celle qui apparaît quand on ouvre le roman est d’emblée un délice :
« D'un coup le ciel se minéralisa, il se fit schiste bleu de nuit. Et il était immense, le ciel, au-dessus de cette terre dénuée de tout relief, écrasée de silence. Une muraille de schiste au pied de laquelle des peupliers dressaient leurs fines silhouettes parcourues de frissons argentés. De même se tenaient les bêtes, immobiles et tressaillantes dans les prés et les cours. La muraille tonna, comme un gong de désastre. Alors le schiste vira au violet-noir, puis il se lacéra. Une pluie torrentielle assaillit la terre. La visibilité tomba à zéro. Le conducteur, dans l'habitacle de sa voiture cinglée par la pluie, eut l'impression d'être transformé en scaphandrier. Il ralentit et mit en marche les essuie-glaces ; dans l'orbe fugacement esquissé sur son pare-brise il aperçut un drôle de météore qui fonçait droit sur lui. L'espace alentour, décidément, était en proie à une humeur fantasque. Une petite boule couleur de bouton-d'or, montée sur roue - comme si le soleil avait été précipité sur la terre par la violence de l'orage et brutalement réduit au cours de sa chute à la dimension dérisoire d'une citrouille jaune vif -, roulait à toute allure sur cette route de campagne. »
Le roman se poursuit dans cette veine-là, brillamment et savamment écrit. Il tourne autour d’un événement tragique incompréhensible : une tête coupée.
Théodore et Anna formaient un couple heureux, une union tardive qui a vu naître leur fils Tobie. Tout bascule le jour où le corps d’Anna sans vie mais aussi sans tête revient à la maison familiale sur le dos de sa jument. Cette vision d’horreur, une cavalière décapitée marque évidemment l’époux et le fils. Le deuil ne peut se faire car la tête n’est pas retrouvée. Parallèlement, on suit le parcours douloureux de l’arrière-grand-mère de Tobie, Déborah, qui a vu ses proches mourir les uns après les autres ou plutôt ne les a pas vus : certains morts à la guerre sans qu’on ait retrouvé leur cadavre, d’autres disparus dans la nature, d’autres encore jetés en pleine mer sans que leurs corps soient repêchés. Tobie accompagne Déborah au crépuscule de sa vie, elle souhaite mourir avant ses cent ans, et elle partira avec le sourire, la veille de son anniversaire.
Il y a aussi Sarra, qui est elle aussi, souffre sans avoir fait du mal à quiconque. Une étrange malédiction la poursuit, les hommes qu’elle embrasse, ceux qui sont attirés par son incroyable beauté, meurent. Après la mort du septième, la jeune femme se retire du monde pour ne sortir que la nuit. Sa route croisera celle de Tobie.
Raphaël, lui, représente un guide, un archange qui mène Tobie et son père vers la vérité. Il fait le lien entre tous les personnages et disparaît aussi vite qu’il est apparu.
Ce roman proche du conte est âpre, difficile, bouleversant. On est saisi par la beauté de l’écriture, riche, ciselée, imprégnée de culture biblique. Une chose est sûre, je veux lire un autre roman de cet écrivain. Il est rare de trouver un tel talent.