Résumer Beckett sans passer pour une demeurée, hum… tâche plus qu’ardue. Mais allons-y !
La nouvelle a été écrite en 1946.
Le narrateur est un vagabond. Le texte commence par une réflexion sur la mort, l’homme préfère les morts aux vivants, ils sentent meilleur, il préfère les cimetières à la foule grouillante de vie.
Il squatte souvent un vieux banc et se sent dérangé, un jour, par la présence d’une femme, Lulu, qu’il surnomme Anne. Est-il bien utile de dire que ces deux personnages ont des comportements plus qu’étranges ? Ils se revoient régulièrement sur ce banc sans parler. Elle l’ennuie car il doit lui céder un bout de place et ne peut plus s’allonger comme il le faisait auparavant. Elle lui propose de poser ses jambes sur ses cuisses, il accepte et cela lui procure un petit émoi mais ne le satisfait pas entièrement. Il lui demande de ne plus revenir, quitte lui-même cette place quelque temps, ils jouent au jeu du chat et de la souris mais se retrouvent tout de même.
C’est à ce moment-là qu’il ressent ce qu’il appelle cet « affreux amour ». Elle l’emmène chez elle et se comporte avec lui comme avec un malade ou une personne âgée, non, c’est plutôt lui qui veut qu’elle subvienne à ses besoins. Il occupe une chambre de son appartement, elle lui apporte à manger, lui change son « vase de nuit » quotidiennement, et surtout, ce qui lui plaît chez elle, c’est qu’elle parle peu. Parfois, elle se met nue, mais lui n’a pas l’habitude de se dévêtir, il a toujours vécu habillé, a parfois enlevé une couche à la belle saison… Il entend souvent cris et gémissements provenant de la pièce jouxtant sa chambre qu’il ne quitte jamais, et découvre ainsi que sa compagne est sans doute prostituée. Un jour, elle lui apprend qu’elle attend un enfant de lui, mais il faut qu’elle lui montre son ventre arrondi pour qu’il la croie vraiment, et encore, il lui demande s’il ne s’agit pas de ballonnements. La naissance de l’enfant fait fuir le narrateur. La nouvelle s’arrête sur les cris du bébé et de sa compagne qui le rappelle à elle :
« Je me mis à jouer avec les cris un peu comme j'avais joué avec la chanson, m'avançant, m'arrêtant, m'avançant, m'arrêtant, si on peut appeler cela jouer. Tant que je marchais, je ne les entendais pas, grâce au bruit de mes pas. Mais sitôt arrêté je les entendais à nouveau, chaque fois plus faible certes, mais qu'est-ce que cela peut faire qu'un cri soit faible ou fort ? Ce qu'il faut, c'est qu'il s'arrête. Pendant des années, j'ai cru qu'ils allaient s'arrêter. Maintenant, je ne le crois plus. Il m'aurait fallu d'autres amours, peut-être. Mais l'amour, cela ce ne se commande pas.»
Beckett a piqué le titre d’un roman de Tourgueniev pour en faire tout autre chose, une œuvre déroutante, pessimiste et déstabilisatrice, à la fois emplie de poésie et de grotesque. Le lecteur est toujours malmené et bousculé, il passe du sourire à la grimace en une phrase sur fond d’absurde.
Ca m’a fait du bien (quoique le terme est sans doute mal choisi !) de retrouver Beckett, mais pour être tout à fait honnête j’étais contente que l’œuvre fût courte !
Je l’ai découverte en livre audio. L’idée de lire la nouvelle en sa version papier reste dans un coin de ma tête.
Deux citations révélatrices du style de notre auteur irlandais :
« Savez-vous où sont les cabinets? dit-elle. Elle avait raison, je n’y pensais plus. Se soulager dans son lit, cela fait plaisir sur le moment, mais après on est incommodé. »
« Elle se mit à se déshabiller. Quand elles ne savent plus quoi faire, elles se déshabillent, et c'est sans doute ce qu'elles ont de mieux à faire. Elle enleva tout, avec une lenteur à agacer un éléphant sauf les bas destinés sans doute à porter au comble mon excitation. C’est alors que je vis qu’elle louchait.»
Pour finir, citons la réplique de Hamm, le personnage principal de Fin de partie qui résume assez l’esprit beckettien :
« Vous êtes sur terre, c'est sans remède ! »