Voilà une BD qui serre la gorge.
Un univers noir composé d'individus tous plus laids les uns que les autres accueille le lecteur dès la première planche. Un enfant mongolien venant d'un orphelinat a disparu au cours d'une sortie campagnarde. Une battue est organisée. Anastase, surnommé très justement « Nanase » veut profiter de cette occasion pour passer pour un héros. On comprend qu'il a déjà commis quelques actes malveillants dans le passé. Son copain Albert, rondouillard et trouillard, a cru voir un extraterrestre mais il s'avère qu'il s'agit du petit orphelin. Le peu d'humanité qui reste dans ce village glauque, c'est à Yvette et son amoureux José, qu'on la doit. C'est Yvette qui surveillait les enfants lors de la sortie ; non seulement, elle se sent coupable mais en plus, tout le monde l'accuse injustement.
José profite de la débâcle pour dénoncer les cruautés que le personnel de l'orphelinat (qu'il a lui-même fréquenté) fait subir aux enfants. Un journaliste lui répond que le directeur de l'orphelinat est un bon copain de son patron et qu'il ne peut faire un article sur l'établissement. José se venge et ça passe par le sang.
Laideur, noirceur, détresse, maltraitance d'enfants et ... engrenage infernal. On a vraiment l'impression d'être dans un gouffre dont les rares personnages bons et humains ne sortiront jamais. Le dessin, de grande qualité, est âpre et cru. Les traits sont rectilignes, les visages souvent monstrueux et les couleurs sombres. Un aperçu de l'enfer. Aucune trace de tendresse, d'éducation ou de générosité. Dès les premières planches, j'ai pensé aux Deschiens, mais ça n'a rien à voir. Le lecteur se marre dix secondes, après ça, il bascule dans l'angoisse. Le côté poisseux et l'ambiance tragique et totalement oppressante en font un monde écoeurant.
La BD s'inspire d'un événement de la vie de Pierre Pelot qui en a d'abord fait un roman. La quatrième de couverture que j'ai lu après la BD (oui, je fais souvent comme ça, ne cherchez pas à comprendre...) renforce l'aspect sinistre de l'album. La voici :
C'était dans les années 80. Un jour de la fin du mois de juin, Pierre Pelot rend visite à son épouse et à son fils né de la veille, dans une chambre de la maternité du village voisin. La maternité faisait partie d'un complexe groupant un hôpital de vieillards, une sorte d'asile, et un orphelinat. Les appels venus du dehors parvenaient jusqu'à la chambre. Ils montaient du cachot sous la chapelle de l'établissement. Un soupirail. Une fenêtre au ras du sol et les deux mains d'un enfant agrippées aux barreaux, la tache pâle d'un visage, dans le sombre... "S'il vous plaît, m'sieu, faites-moi sortir! Je r'commencerai plus... S'il vous plaît, m'sieu..." Une litanie lancée en rafales vers cette fenêtre de la chambre d'où Pelot regardait l'été s'approcher... En rentrant, il a commencé d'écrire "Pauvres zhéros". A la hache.