En lecture (en lecture, je précise !), il m’arrive d’être très disciplinée. Je vous disais que j’allais déguster les romans de Chalandon dans l’ordre des plats, la mise en bouche (délicieuse !) fut Le Petit Bonzi, vint ensuite l’apéritif avec Une promesseet je vous présente aujourd’hui l’entrée, Mon traître.
Antoine est un luthier français qui s’est pris d’amour pour l’Irlande du Nord. Au détour d’un pub, il s’est aussi pris d’amitié pour un homme plus âgé que lui, Tyrone Meehan. Cet homme franc, rustre, membre actif de l’IRA, sera un ami mais aussi un père, un confident, un frère. Chaque voyage permet à Antoine de connaître un peu plus ce pays fascinant, les habitudes de ses habitants, l’IRA qui tue, qui sauve, qui brise des vies et des familles, où Antoine s’engagera même ponctuellement. C’est surtout à travers Tyrone qu’Antoine avance dans sa connaissance du pays, tel un mentor ou un père spirituel, il va lui apprendre à admirer un lac, à écouter le silence de la nature, à porter la casquette large à chevrons noirs, typique des Irlandais du Nord. Et puis, des années plus tard, alors que Tyrone est un vieillard, on découvre l’ignoble vérité : il trahissait son peuple, ses camarades, sa famille, Antoine, depuis plus de deux décennies.
Le choix de l’Irlande a dû se faire naturellement pour Chalandon qui, en tant que journaliste pour Libération, s’y est rendu maintes fois pour faire des reportages. L’Irlande et ce contexte historique particulier occupent toute la place, il faut le savoir, et ça m’a donné envie d’en connaître plus. L’implication d’Antoine (il se dévoue corps et âmes à ce pays qui n’est pas le sien et quand il ne répare pas des violons, il est en Irlande) m’a paru un peu disproportionnée, l’admiration naïve pour Tyrone également, on aurait dit un gosse innocent, les yeux ronds et la bouche béante, face à un plus grand. Il n’en demeure pas moins que l’écriture de Chalandon nous transporte avec aisance et poésie au pays de la Guiness. Amitié, fidélité, franchise, questionnement sur soi (comme l’a dit l’auteur dans une interview : « Moi, je voulais que chacun voie le traître en soi ») sont les quelques thèmes forts du livre. Pour finir, la lecture fut intéressante et instructive mais c’est celle que j’ai le moins aimée jusqu’à maintenant.
Le roman a reçu tous ces prix (rassurez-moi, vous ne les connaissez pas tous non plus ?) :Prix Jean-Freustié, Prix Joseph Kessel, Prix Marguerite Puhl-Demange, Prix Simenon, Prix Gabrielle d'Estrées, Prix Lettres Frontière 2008.
La manifestation pacifiste des nationalistes à Pâques 1977 : « Je pleurais. Je n’avais rien senti. Ni le brûlant d’avant les larmes, ni leur chemin sur mes joues, ni leur goût triste. Je regardais ces ombres maussades, ces vêtements boueux, ces cheveux confus, ces bouches orphelines, ces dos fatigués, ces yeux privés de ciel. Et je me suis mis à pleurer. J’en avais besoin. C’’était ma façon de les applaudir. J’ai passé ma manche de blouson sur mes yeux. »
Lorsqu’Antoine apprend la trahison de son ami : « Je n’ai pas dormi. J’ai regardé l’obscurité. Au milieu de la nuit, la neige est retombée e pluie. Un froid de ville, qui coule au carreau comme une trace sale. J’ai gardé mes chaussures, mon manteau, je n’ai même pas songé à ouvrir les draps. Le regard de Tyrone. Son bras sur mon épaule devant le lac noir. Son empreinte. Ses mots. J’avais mal de lui. La fièvre. Je sentais une eau mauvaise glacer mes reins, ma nuque, couler le long de la jambe qui pendait hors du lit. J’étais couché sur le dos, mains jointes sur la poitrine. Je ne pensais à rien. Je laissais entrer. J’étais porte ouverte. »