J’inaugure une nouvelle rubrique aujourd’hui, celle des livres audio. Pourquoi ? Une seule raison pour moi : rentabiliser les longs trajets en voiture.
Mon premier choix s’est porté sur une œuvre que je n’ai jamais lue et qui m’a toujours un peu effrayée. Je n’ai aucun regret.
Le livre audio permet une autre approche de l’œuvre. On nous raconte une histoire comme maman le faisait avant le coucher du soir. Chaque mot résonne, et même si l’attention peut faiblir, elle est rapidement happée par la Voix. C’est Jean-Claude Rey qui lit Les Mémoires d’Hadrien ; sa voix d’homme mûr, sûre et posée a magnifiquement rendu la noblesse de l’œuvre et a donné vie aux souvenirs de l’empereur défunt tout en rendant le texte de Yourcenar accessible.
Marguerite Yourcenar a écrit une autobiographie fictive de l’empereur romain Hadrien. Autobiographie fictive basée sur des faits réels, un travail de recherche et d’érudition.
Les Mémoires d’Hadrien sont ainsi un roman historique mais aussi un livre philosophique. En effet, l’empereur évoque de nombreux thèmes tels que la mort, l’amour, les livres, les femmes, la nourriture, le sommeil, les rêves, la solitude, la politique, le suicide, l’euthanasie. Il nous livre un regard empli de sagesse et d’humanité sur la vie. Celui pour qui le vrai « luxe est d’être seul » nous raconte son ascension au pouvoir, son règne et surtout son amour, son unique Amour éprouvé pour ce jeune garçon, Antinoüs, un Bithynien qui a vécu peu de temps puisqu’il s’est donné la mort, jeune.
Pour Hadrien, rien que trois manières de connaître la vie (prenez note !) : l’étude de soi - l’observation des hommes – les livres.
Certains extraits sont devenus célèbres ou en tous cas, méritent de l’être.
√ « Je savais que le bien comme le mal est affaire de routine, que le temporaire se prolonge, que l'extérieur s'infiltre au dedans, et que le masque, à la longue, devient visage. »
√ « Le véritable lieu de naissance est celui où l'on a porté pour la première fois un coup d'œil intelligent sur soi-même: mes premières patries ont été des livres. »
√ « La mémoire de la plupart des hommes est un cimetière abandonné, où gisent sans honneurs des morts qu'ils ont cessé de chérir. »
√ L’art et la beauté : « À chacun sa pente : à chacun aussi son but, son ambition si l'on veut, son goût le plus secret et son plus clair idéal. Le mien était enfermé dans ce mot de beauté, si difficile à définir en dépit de toutes les évidences des sens et des yeux. Je me sentais responsable de la beauté du monde.
Je voulais que les villes fussent splendides, aérées, arrosées d'eaux claires, peuplées d'êtres humains dont le corps ne fût détérioré ni par les marques de la misère ou de la servitude, ni par l'enflure d'une richesse grossière ; que les écoliers récitassent d'une voix juste des leçons point ineptes ; que les femmes au foyer eussent dans leurs mouvements une espèce de dignité maternelle, de repos puissant ; que les gymnases fussent fréquentés par des jeunes hommes point ignorants des jeux ni des arts ; que les vergers portassent les plus beaux fruits et les champs les plus riches moissons.
Je voulais que l'immense majesté de la paix romaine s'étendît à tous, insensible et présente comme la musique du ciel en marche ; que le plus humble voyageur pût errer d'un pays, d'un continent à l'autre, sans formalités vexatoires, sans dangers, sûr partout d'un minimum de légalité et de culture ; que nos soldats continuassent leur éternelle danse pyrrhique aux frontières ; que tout fonctionnât sans accroc, les ateliers et les temples ; que la mer fût sillonnée de beaux navires et les routes parcourues par de fréquents attelages ; que, dans un monde bien en ordre, les philosophes eussent leur place et les danseurs aussi. »
√ Son cher Antinoüs : « Je n'ai été maître absolu qu'une seule fois, et que d'un seul être. Si je n'ai encore rien dit d'une beauté si visible, il n'y faudrait pas voir l'espèce de réticence d'un homme trop complètement conquis. Mais les figures que nous cherchons désespérément nous échappent : ce n'est jamais qu'un moment… Je retrouve une tête inclinée sous une chevelure nocturne, des yeux que l'allongement des paupières faisait paraître obliques, un jeune visage large et comme couché. Ce tendre corps s'est modifié sans cesse, à la façon d'une plante, et quelques-unes de ces altérations sont imputables au temps. »
√ La douleur de la perte de l’être aimé : « Autour de moi, je sentais qu'on commençait à s'offusquer d'une douleur si longue : la violence en scandalisait d'ailleurs plus que la cause. Si je m'étais laissé aller aux mêmes plaintes à la mort d'un frère ou d'un fils, on m'eût également reproché de pleurer comme une femme. La mémoire de la plupart des hommes est un cimetière abandonné, où gisent sans honneurs des morts qu'ils ont cessé de chérir. Toute douleur prolongée insulte à leur oubli »
√ « Les idées grinçaient ; les paroles tournaient à vide ; les voix faisaient leur bruit de sauterelles au désert ou de mouches sur un tas d'ordures ; nos barques aux voiles gonflées comme des gorges de colombes véhiculaient l'intrigue et le mensonge ; la bêtise s'étalait sur les fronts humains. La mort perçait partout sous son aspect de décrépitude ou de pourriture : la tache blette d'un fruit, une déchirure imperceptible au bas d'une tenture, une charogne sur la berge, les pustules d'un visage, la marque des verges sur le dos d'un marinier. Mes mains semblaient toujours un peu sales. »
√ « Moi- même, je me croyais à peu près calmé ; j'en rougissais presque. Je ne savais pas que la douleur contient d'étranges labyrinthes, où je n'avais pas fini de marcher. »
Un livre qu’il faudrait avoir lu au moins une fois dans sa vie.