Voilà un recueil de quatre nouvelles qui traîne depuis de longs mois dans ma bibliothèque (puis sur ma table de chevet, oui, les livres voyagent parfois chez moi !). C’est une erreur de ne pas l’avoir ouvert avant ! Belle surprise !
Le Verger : Quand la tragédie se mêle à la poésie… quand un conte de fée naît dans l’endroit le plus horrible…
Cette nouvelle est bouleversante. C’est un conte, mais un conte qui se termine mal et commence par un prodige.
Camp de concentration. Un petit garçon attend son tour de douche, nu parmi les autres détenus. Soudain, il s’enfuit, s’éloigne du « troupeau », court vers les barbelés. Un soldat le poursuit mais stoppe sa course… l’enfant comprend alors qu’il ne le voit pas. L’endroit où il s’est arrêté est un petit verger composé d’un pommier et d’une mare. Un asile que seuls les yeux de l’enfant sont capables d’appréhender. Un sentiment formidable s’empare de nous, on a envie de croire à cette magie ! Le pommier lui fournit régulièrement des pommes et la mare des poissons à foison. C’est un îlot de paradis en plein milieu de l’enfer, un cocon où il ne fait jamais froid. L’enfant se sent pourtant seul, il partage un peu de sa chance avec les autres prisonniers en leur lançant une pomme. « Chaque jour de corvée, au même endroit, le sort jette sur leur chemin une pomme, ou un poisson vivant. Et la provenance en est si mystérieuse qu’entre ces affamés prêts à se battre au sang pour un quignon, pour une ordure, dès le deuxième jour une règle tacite s’instaure : le don du ciel échoit simplement au plus proche. Pour répartir avec plus d’équité les chances, on intervertit tout les matins les deux rangs de l’équipe ». Mais les jours passent, les hommes meurent et sont remplacés par d’autres. Un jour, le garçon hèle un jeune homme et l’incite à lui suivre jusqu’à son verger. Malheureusement, le refuge merveilleux n’est réservé qu’au petit garçon, le jeune homme se fait tuer. La solitude viendra à bout de l’enfant qui, faisant fi de son don d’invisibilité, se rue dans la foule des pauvres hères qui se massent devant les douches.
Une chance d’éviter l’extermination lui avait été offerte, mais la vivre seule ne l’intéressait pas.
Je n’ai pu m’empêcher de penser au roman-fable Le garçon en pyjama rayé de John Boyne, un petit bijou où, comme ici, les camps de concentrations sont vus à travers le regard d’un petit garçon. Quand l’horreur côtoie le monde innocent de l’enfance…
Le Gouffre des années : L’Occupation. Un homme retourne sur les lieux de son enfance et prétend être de la même famille qu’un petit garçon… qui n’est autre que lui-même. Il revoit, avec sa conscience d’adulte l’enfant qu’il était et le monde dans lequel il vivait.
La Belle Charbonnière : Un chevalier du Moyen-Age, poussé par la curiosité, rejoint une belle charbonnière qui vit seule sur un îlot. On la dit sorcière. La magnifique jeune fille ne vieillit pas, le chevalier passe des années auprès d’elle et, quand vieillard, il veut la quitter, il se rend compte qu’autour de l’îlot, plus rien n’existe, tout n’est que désolation, sans âme qui vive. La sorcière a le pouvoir de créer le vide autour de l’île. Le chevalier meurt.
Paradiso : Epoque contemporaine. Un navire rempli de touristes débarque sur une île. Admiration sur commande de tous les passagers (et par là, satire du voyage organisé). John, lui, est seul et bute contre l’inhospitalité des habitants de l’île qui s'apparente à l'univers kafkaïen, autoritaire et inquiétant. Il croisera des personnages hors du commun comme Livia la Simple, une femme qui déclare elle-même n’avoir pas de cervelle et lui demande : « Tu te sens la tête pleine, toujours ? Dis-moi, comment ça fait ? On doit se sentir fort, on doit tout savoir, tout comprendre… Tandis que moi, le vent s’engouffre dans ma tête vide, dans ma caverne, il y tourne en rond, il souffle, il griffe comme un animal enfermé ! Et puis j’ai toujours peur qu’un insecte n’y fasse son nid. Et comment je l’en retirerais ? Pour dormir, je mets de la cire. Comme ça, je suis tranquille. Dis-moi, dis-moi,-toi qui as ta cervelle, pourquoi on est là ? Qu’est-ce qu’on fait ici ? »
Confucius disait « Savoir que l'on sait ce que l'on sait, et savoir que l'on ne sait pas ce que l'on ne sait pas : voilà la véritable intelligence. » !!!
Georges-Olivier Châteaureynaud a obtenu le Prix Renaudot pour La Faculté des Songes en 1982. Depuis 1996, il fait partie du jury de ce prix. Il s’inscrit dans le courant qu’on appelle « réalisme magique ». Son style est agréable, les phrases sont courtes, simples et son univers se situe entre merveilleux et fantastique. C'est un auteur vers lequel je me tournerai de nouveau avec plaisir!