C’était la première fois que j’ouvrais un livre de Jonathan Coe. Entre ce moment-là et celui où je l’ai refermé, il s’est passé un peu moins de trois heures. Vous l’avez compris, j’ai lu ce roman d’une traite (ou presque !).
La vie de Maria se déroule devant nos yeux tel un tapis qu’on étale sur le sol, lentement, progressivement. L’existence de cette femme, qu’on cueille à la fin de l’adolescence, n’est pourtant pas dépourvue de heurts. Maria n’est pas comme les autres, elle ne répond pas aux attentes des gens qui l’entourent, elle ne fait pas ce qu’elle « devrait » faire, elle n’entre pas dans la norme, elle est surprenante, décalée, voire complètement déjantée. Face aux gens, elle fait généralement preuve d’indifférence ; face aux événements et aux changements de sa vie, c’est la nonchalance et le m’en-foutisme qui l’accompagnent.
Si Maria est un peu cinglée, avouons que les personnes qu’elle rencontre sont assez particulières : une colocataire qui ne croit qu’au langage des yeux (et qui est une parfaite dinde dont le portrait est hilarant), un amoureux transi qui la demande en mariage au moins une fois par jour, un mari qui la bat et qui a inculqué à leur enfant de 4 ans que sa mère ne vaut rien, une « copine » qui veut coucher avec elle… Avec Jonathan Coe, le lecteur va de surprise en surprise !
Malgré une vie ratée -celle de Maria- et une vision de la vie assez pessimiste, ce roman m’a amusée de bout en bout. Et pourquoi ? parce que le style de l’auteur est cocasse, il nous montre les grosses coutures du travail de l’écrivain, il évoque son art et ses contraintes. Combien de fois Coe s’adresse-t-il au lecteur ? « Ca ne vous dérange pas que je raconte ça au passé ? Je trouve l’autre temps vraiment épuisant. », « comme nous le verrons dans certains des chapitres suivants ». L’écrivain est à la fois le Dieu tout-puissant qui gouverne ses marionnettes de personnages, et à d’autres moments, ce même écrivain se laisse comme emporter par la personnalité survoltée des protagonistes, il ne maîtrise plus rien. Ce n’est pas vraiment nouveau, mais ça me plaît toujours ! … et m’a donné envie de d’approfondir l’œuvre de cet écrivain britannique qui a sans doute lu Irving…
« Rien n’est plus misérable que le souvenir du bonheur, position qu’on peut occuper de divers points de vue, comme nous le verrons dans certains des chapitres suivants. Dans le même ordre d’idées, à moins qu’il ne s’agisse d’un ordre d’idées opposée, rien n’est plus plaisant que la perspective du bonheur, et quand je dis « rien, je n’emploie pas ce mot à la légère. Car le bonheur en soi, se disait Maria, n’avait guère de poids comparé au temps passé soit dans sa perspective, soit dans son souvenir. En outre, l’expérience immédiate du bonheur paraissait complètement détachée de l’expérience de son attente ou de son souvenir. Jamais elle ne le disait, quand elle était heureuse : « C’est ça, le bonheur », et jamais donc elle ne l’identifiait comme tel au moment où elle le vivait. Ce qui ne l’empêchait pas de penser, quand elle ne le vivait pas, qu’elle avait une idée très claire de ce qu’il recouvrait. La vérité, c’est que Maria n’était vraiment heureuse que lorsqu’elle pensait au bonheur à venir, et je crois qu’elle n’était pas seule à adopter cette attitude absurde. Il est plus agréable, allez savoir pourquoi, d’éprouver de l’ennui, ou de l’indifférence, ou de la torpeur, en se disant : dans quelques minutes, quelques jours, quelques semaines, je serai heureux, que d’être heureux en sachant, fût-ce inconsciemment, que le prochain sursaut intérieur nous éloignera du bonheur. L’idée du bonheur, qu’il soit prospectif ou rétrospectif, éveille en nous des émotions beaucoup plus fortes que la seule émotion du bonheur. Fin de l’analyse. »
« Trois ans plus tard, il pleut toujours. C’est un mensonge, je sais, il y a eu du soleil entre-temps, mais cela est hors de propos. A présent, pour trouver Maria, il vous faudrait aller très loin au nord, car elle habite Chester. Une fort belle ville, je vous encourage à la visiter un jour.»
« Donc, assurément, je vous ai dit tout ce qu’il y avait à dire. Et pourtant, en le relisant, ce chapitre me paraît assez court. Mais bon, il n’y a pratiquement pas de dialogues, donc vous en avez quand même pour votre argent, si l’on peut dire. Honnêtement, je commence à en avoir marre de Maria, et de son histoire, tout comme Maria commence à en avoir marre de Maria, et de son histoire. »