Reçu à Noël, c’est l’épaisseur du roman qui retarda ma lecture ! quelle nouille j’ai été ! Oubliez le nombre de pages qui se dévorent beaucoup plus vite qu’on ne le voudrait et procurez-vous ce livre d’urgence !
Nous sommes à Jackson dans l’état de Mississippi, dans les années 60. Dans chaque famille blanche, c’est une bonne noire qui fait le ménage, cuisine et s’occupe des enfants. Le problème c’est que les Blancs, les Blanches plus particulièrement, passent leurs journées à rabaisser les Noires, à les considérer comme des moins que rien… et à créer des lois raciales visant à les humilier encore un peu plus. La bonne noire doit avoir son propre verre, elle doit poser ses fesses sur des toilettes bien à elle, construites pour elle au fond du jardin. Elle ne doit pas lever les yeux sur sa patronne et doit toujours acquiescer. Elle doit être disponible tout le temps pour un salaire de misère.
Miss Skeeter, une fille blanche ayant un peu plus de jugeote que ses amies, aime écrire. Et elle a soudain l’envie d’écrire sur ces bonnes noires. Elle arrive d’abord à convaincre Aibileen, la bonne de son amie, Miss Leefolt, une Noire bien trop gentille qui accepte son sort avec résignation. Puis vient le tour de Minny, la copine d’Aibileen, de témoigner. Petit à petit, les bonnes noires sortent de leur retranchement et parlent. Des brimades, des injustices, des ingratitudes, des humiliations au quotidien, mais parfois aussi, trop rarement, de la reconnaissance de la part des patronnes blanches, du respect ; voilà ce que racontent ces femmes en cachette dans la petite maison d’Aibileen pendant que Miss Skeeter tape leurs récits à la machine à écrire. Ces anecdotes et ces récits de vie en feront un livre.
Un fil directeur cousu d’émotion et de tendresse est tendu sur chaque page de ce magnifique roman. Le lecteur est totalement immergé dans cette Amérique des années 60 où la couleur de peau a encore tellement d’importance. Il s’attache à ces personnages : la tendre Aibileen, Minny la révoltée, l’ordure de Miss Hilly, la douce et originale Miss Skeeter. Il y a des véritables pierres précieuses dans cette histoire : lorsqu’Aibileen enseigne à Mae Mobley, la petite fille de sa patronne, à être une belle personne. Sa mère l’ignore, se montre froide envers sa fille et Aibileen fait tout pour rattraper les défauts (ou les absences) d’éducation maternelle. Elle lui répète à longueur de journée qu’elle est une fille importante et intelligente… et en profite aussi pour lui raconter des histoires où les Noirs sont rejetés des Blancs. Tous les jours, un peu, discrètement et efficacement.
Cela fait très longtemps que je n’étais pas plongée à ce point dans un livre. C’est le genre de roman auquel on pense au beau milieu de la journée, qu’on a hâte de retrouver le soir, qu’on a du mal à reposer, qu’on ne voudrait plus terminer, celui qui nous met la larme à l’œil juste parce qu’on arrive à la dernière page.
La ségrégation raciale est bien sûr LE sujet du roman. Mais de manichéisme, il n’y en a pas, l’auteur a su rester juste, réaliste. Je me suis posée une question qui n’a rien de rhétorique : est-ce que, à l’heure actuelle, des femmes blanches travaillent au service de patronnes noires ?
La richesse du roman est telle que le racisme et la différence Blancs/Noirs ne constitue pas le seul thème. La place de la femme est évoquée car même chez les riches Blancs, elle ne peut faire n’importe quoi : les cheveux doivent être lisses, les robes pas trop courtes, le sourire omniprésent. La mort de JFK occupe quelques pages aussi, et l’espoir surgit doucettement dans les dernières pages, l’espoir d’un monde nouveau.
Une petite merveille et un grand coup de cœur !
Minny, dès son plus jeune âge a reçu les dix commandements inculqués par sa mère pour être une bonne modèle :
« Règle numéro un pour travailler chez une Blanche, Minny : c’est pas tes affaires. T’as pas à mettre ton nez dans les problèmes de la patronne, ni à pleurnicher sur les tiens – t’as pas de quoi payer la note d’électricité ? T’as mal aux pieds ? Rappelle-toi une chose : ces Blancs sont pas ts mais. Ils veulent pas en entendre parler. […]
Règle numéro deux : cette patronne blanche doit jamais te trouver assise sur se toilettes. Ca m’est égal si t’as tellement envie que ça te sort par les tresses. Si elle en a pas pour les bonnes, tu trouves un moment où elle est pas là.
Règle numéro trois […] : quand tu cuisines pour des Blancs, tu prends une cuillère rien que pour goûter. Si tu mets cette cuillère dans ta bouche et qu’après tu la remets dans la marmite et qu’on te voit, c’est tout bon à jeter.
Règle numéro quatre : sers-toi tous les jours du même verre, de la même fourchette, de la même assiette. Tu les ranges à part et tu dis à cette Blanche qu’à partir de maintenant ça sera tes couverts.
Règle numéro cinq : Tu manges à la cuisine.
Règle numéro six : tu frappes pas ses enfants. Les Blancs aiment faire ça eux-mêmes. »
L’histoire du papier cadeau marron racontée par Aibileen à Mae Mobley : « C’est son histoire préférée parce que, quand je la raconte, elle a deux cadeaux. Je prends du papier d’emballage marron de l’épicerie Piggly Wiggly et je mets un petit quelque chose dedans, par exemple un bonbon. Puis je prends du papier blanc du drugstore Cole qui est près de chez moi et j’y mets autre chose. Elle prend ça très au sérieux et elle défait les paquets pendant que je lui explique que c’est pas la couleur de l’emballage qui compte, mais ce qu’il y a dedans. »