Quelle agréable surprise que ce roman !
Comment parler d’une chaussure pendant 218 pages ?! Il aurait pu s’agir de nouvelles : ce sont dix textes ayant le même fil directeur - une chaussure sur le toit d’un immeuble !
Un père de famille est réveillé par sa petite fille qui lui raconte qu’elle vient de voir un ange sur le toit de la maison d’en face. Un ange qui a oublié sa chaussure. Le papa attentionné rendort sa fille avant de s’apercevoir… qu’il y a effectivement une chaussure, seule, sur le toit d’en face.
Un cambrioleur qui n’en est pas vraiment un, pour se venger d’avoir été quitté par la femme qu’il aime, fait un nœud dans le pantalon de celui qui a pris sa place et jette une de ses chaussures sur le toit d’en face.
Une jeune femme pleure le départ de son amoureux sans-papier renvoyé brutalement dans son pays. Le clandestin lui dit adieu une dernière fois en grimpant sur le toit du voisin. En se sauvant, il perd sa chaussure restée sur le toit. « ce qu’il reste de toi, cette chaussure dérisoire, comme si on venait de t’emporter au ciel et que tu n’aies laissé que cette trace-là : une chaussure, pour m’assurer que tu te tenais bien là, que je n’avais pas rêvé. Pendant tout le temps qu’a duré notre histoire, tous les matins, j’ouvrais les rideaux, je la voyais là et je ne pouvais m’empêcher de sourire. »
L’auteur multiplie les différentes explications possibles de la présence de la chaussure sur le toit. Pour cela, il change de narration, il varie les tons, les styles. Un passage lyrique peut succéder à un texte frôlant l’absurde. Un mini-polar va laisser sa place à une méditation philosophico-artistique. Le plus savoureux dans tout ça, c’est l’imbrication des histoires les unes dans les autres ; on trouve ainsi des références aux personnages déjà rencontrés, un héros d’un texte peut devenir personnage secondaire et éphémère dans un autre… J’ai eu l’impression de partir à une chasse au trésor. Des indices, des enquêteurs, des obstacles et un trésor final : la chaussure (ou une chaussure parmi tant d’autres ?). C’est une lecture qui m’a mise en joie. C’est frais, léger, drôle la plupart du temps, l’auteur se moquant de tout et surtout de lui-même… En grattant un peu, on découvre une réflexion plus profonde portant sur la solitude des êtres et la quête d’identité de tout un chacun. Ca a aurait été un coup de cœur s’il n’y avait eu quelques longueurs par-ci par-là (mais pourquoi diable, l’écrivain s’est-il senti obligé de nous faire ressentir qu’il est docteur agrégé en philosophie ?) Bref.
Donc, un presque coup de cœur pour ce roman assez novateur et intelligent que je conseille vivement.
Mention toute spéciale pour l’histoire d’amitié entre une vieille dame et un pompier homosexuel. La vieille dame est gênée par la présence de cette chaussure dans le champ de vision de sa fenêtre. Vivant seule, ne sachant que faire, elle appelle plusieurs fois les pompiers qui finissent par envoyer un des leurs pour entamer des poursuites contre la vieille dame. C’est le début d’une grande histoire, tendre et touchante.
Le « cambrioleur » en action ou plutôt en non-action : « Je pouvais distinguer les deux ou trois tableaux accrochés au mur et je me suis dit : lequel vais-je emporter ? J’avais le temps. Mais à ce moment, je me suis rendu compte d’une lacune terrible dans mon entreprise : je n’avais pas pris de sac avec moi. Complètement crétin. Alors que, dans tous les films, les cambrioleurs prennent soin d’apporter des sacs, généralement des sacs de sport ou des sacs de voyage, noirs (ça fait davantage professionnel), très minces et résistants. Cet oubli m’a consterné. C’était bien la peine de regarder autant de films pour commettre une erreur aussi grossière. »