J’ai lu ce roman ado, trop tôt sans doute, j’en ai gardé un souvenir fugace de fantaisie, de folie, de bizarrerie.
Nous sommes dans un monde à part, un monde où l’on trouve des raies sur les trottoirs, où l’on converse avec une souris grise accoudée au verre à dents, où il sort des truites et des anguilles des robinets, où être cuisinier est bien plus noble que d’être agrégé de mathématiques, où les recettes de cuisine sont si farfelues qu’elles feraient pâlir les plus modernes et gastronomiques chefs étoilés (« de la queue de bœuf broyée et un bol de punch aux aromates avec croûtons beurrés d’anchois »… au petit-déjeuner !), un monde où les pédérastes ont des « culottes spéciales à braguettes en arrière », où l’on paye en doublezons son sirop de câpres, où la cravate est un être vivant bien difficile à nouer.
Colin est un jeune homme riche qui n’a pas besoin de travailler (et heureusement car le travail est considéré comme une humiliation et un gâchis de temps : il y a tellement d’autres choses plus intéressantes à faire…), il aimerait vraiment tomber amoureux, il veut une femme à lui tout seul. Alise lui plairait bien mais elle est déjà avec Chick, son meilleur ami. Chick est un fan absolu de Jean-Sol Partre, un écrivain et philosophe à la mode. Colin rencontre alors Chloé, une belle jeune femme brune qui lui plaît tout de suite. Sans tarder, ils se marient.
Lors du voyage de noce dans un paysage mouvant et plutôt hostile, Chloé attrape froid et tombe malade. Un nénuphar pousse dans son poumon droit. Pour la soigner, il faut entourer Chloé de plantes et de fleurs et ne lui donner que deux cuillerées d’eau par jour. Colin se ruine en achetant toutes ces fleurs. Il doit désormais chercher du travail. Chick, quant à lui, se laisse complètement submerger par son engouement pour Partre, il dépense tout son argent prévu pour un éventuel mariage avec Alise en livres, pantalons et autres produits ayant appartenu à Partre, etc. Alise, ne supportant plus cette monomanie, supprime Partre avec un arrache-cœur. Chloé, ravagée par la maladie finit par mourir. Ruiné, Colin ne pourra lui offrir un enterrement digne de son nom. La fin du roman voit s’éteindre tous ses personnages.
Pour moi, ce roman est divisé en deux parties, la première (que j’adore) est fantasque, drôle, déjantée, l’univers poétique où nous emmène Vian brise les codes de la réalité et frôle la science-fiction et le fantastique. Pourtant, si on connaît un peu le surréalisme, l’œuvre n’est pas si étonnante que ça. La seconde partie m’a paru plus terre-à-terre, plus proche des préoccupations actuelles, Chloé est atteinte d’une maladie grave, Colin est perdu, Alise et Chick connaissent des difficultés de couple,… la part de barjot s’efface devant la tristesse, les dures réalités de la vie et l’angoisse de la mort. L’histoire d’amour tient une grande place dans cet univers où le blanc prédomine et où l’eau ne porte pas bonheur…
Une œuvre indispensable.
Il me tarde de découvrir l’adaptation cinématographique de Gondry !
Le fameux pianocktail : « A chaque note, dit Colin, je fais correspondre un alcool, une liqueur ou un aromate. La pédale forte correspond à l'œuf battu et la pédale faible à la glace. Pour l'eau de Selbtz, il faut un trille dans le registre aigu. Les quantités sont en raison directe de la durée : à la quadruple croche équivaut le seizième d'unité, à la noire l'unité, à la ronde le quadruple unité. Lorsque l'on joue un air lent, un système de registre est mis en action, de façon que la dose ne soit pas augmentée - ce qui donnerait un cocktail trop abondant - mais la teneur en alcool. Et, suivant la durée de l'air, on peut, si l'on veut, faire varier la valeur de l'unité, la réduisant, par exemple au centième, pour pouvoir obtenir une boisson tenant compte de toutes les harmonies au moyen d'un réglage latéral. »
« Il était si heureux que ça lui faisait beaucoup de peine »
« Les gens perdent leur temps à vivre, alors, il ne leur en reste plus pour travailler »