Voilà un livre que je connaissais par extraits. J’en avais lu pas mal, trouvés ou piochés ça et là. Je regrette de n’avoir pas lu l’intégral plus tôt. Ce fut un beau moment.
Comme l’indique son sous-titre, L’écrivaillon raconte l’enfance de l’écriture, le travail acharné d’un homme, d’une femme, en passe de devenir écrivain.
L’essai se compose de trois parties : Un temps pour l’angoisse, Un temps pour l’écriture et Un temps pour l’angoisse de l’écriture. Chaque partie est elle-même composée de petits chapitres portant tous un verbe en guise titre. Des verbes d’action comme Salir, Jeter, Timbrer, Nommer, Saliver, Corriger, Citer, Se relire, Jeûner, Multiplier, … autant de tâches que l’écrivain débutant s’astreint à accomplir. Car il trime l’écrivaillon, il est parfois un artiste mais c’est surtout un artisan, un ouvrier des mots qui ne vit que pour l’écriture. Il travaille avec ses mains et sue : « Serrant son stylo à encre dans la pince, épuisante et banale, de trois doigts tachés, l’écrivaillon se demande ce qui le pousse à s’asseoir chaque jour, le pouce circonflexe, jambes croisées, les pieds fourmillants, le cou tordu, le dos déformé en écolier, à la table dangereuse où sa main va se poser, sur le côté, comme un outil sur un capot. »
Le livre m’a touchée, a chatouillé en moi une corde personnelle, enfantine et nostalgique. Les amoureux des mots, de la lecture et de l’écriture ne pourront que se retrouver dans cet essai qui est un bel éloge aux gens qui écrivent, et c’est fait en toute modestie, car Régine Detambel s’inscrit aussi dans ce groupe de créateurs de livres, que l’auteur les appelle les écrivaillons.
On pourrait citer tout le livre, j’en retiens deux extraits :
A propos de la relecture (tâche ô combien difficile pour un collégien déjà !) : « Ces relectures, l’écrivaillon les vécut au-delà des nausées. Par ce que se lire à haute voix, c’est se goûter. C’est s’entourer de ses propres bras, soi-même se bercer de sa voix, sucer sur son index son propre sang au goût de sel et de fer, manger ce qui a séché dans son nez, également épicé, souvent craquant, à cause des poussières de la rue. C’est renifler sa chemise sale. C’est souffler dans les paumes de ses mains fermées pour sentir son haleine comme la sentent ceux à qui l’on parle de près ».
« Le luxe et la chance de l'écrivaillon résident dans son peu d'épaisseur, presque son absence. Comme le moussaillon ou le novice, il ne fait pas le poids, il est seulement quelqu'un qui se met à écrire. L'enfance de l'écriture. À l'abri de sa petite taille et de sa jeunesse, il explore les territoires du livre, il s'initie à la description, il entame une collection de citations, et surtout, il apprend, il imite, il regarde, il rêve ses premières histoires, il a peur de ses lignes, il craint qu'on puisse l'y reconnaître. Éternel débutant, il commence des romans qu'il n'achèvera jamais.
Comme tous les créateurs, l'écrivaillon souffre de ce qu'il invente. Un temps pour l'angoisse, un temps pour l'écriture, un temps pour l'angoisse de l'écriture, peut-être la page se découpe-t-elle ainsi, du jour où l'on découvre la fureur incorrigible d'exister dans un livre. »