Le roman débute avec les prémisses de la carrière d’un flic, Clément Duprest, et se termine quand ce même type part à la retraite. De 1940 à 1981. Pourquoi cette dénomination de « salaud » ? Tout est question de choix. Clément a fait le choix de l’antisémitisme, de la trahison, du mensonge, de l’ingratitude, de la mesquinerie, de la petitesse, de la lâcheté.
Mon avis est mitigé.
Dans la colonne de gauche, celle du « moins », je mettrais certains passages franchement ennuyeux. Il faut soit être hyper intéressé par les années 40 à 80, soit y avoir vécu… ensuite, je mettrais le personnage lui-même. Je crois qu’incarnant le salaud, il représente surtout l’ensemble des flics, ce qui est, j’ose l’espérer, un peu caricatural. Mais c’est ce que cherchait sans doute Daeninckx…
Dans la colonne de droite, celle des points positifs, je mettrais en tout premier lieu, le portrait de la société française. Si certains passages m’ont paru rébarbatifs (voir plus haut), d’autres ont été succulents à lire. Le roman commence par décrire une époque où Yves Montand, âgé d’à peine 20 ans, connaît ses premiers instants de gloire, une époque où l’on est choqué parce qu’une femme est directrice d’entreprise et, comble, parce qu’elle porte un pantalon, une époque où l’on attend l’installation du téléphone avec empressement, une époque où les femmes qui se placent au-dessus de l’homme pendant l’acte d’amour font figure de pionnières. La femme « se bornait à écouter, à sourire, à détourner le regard quand le moindre écart se faisait jour dans les positions des époux. Seuls les intimes pouvaient s’en apercevoir car, autre aspect de leurs vies parallèles, ils n’invitaient jamais d’amis que ce soit à la maison ou au restaurant, limitant leur univers au cercle familial». Une époque enfin, où on aperçoit la première étoile jaune cousue sur le corsage d’une jeune fille.
Puis c’est l’époque de l’après-guerre, celle qui exécute Pierre Laval, celle qui voit le succès d’Autant en emporte le vent dans les salles obscures, celle pour le personnage principal de retourner sa veste et de se déclarer contre les antisémites. Puis vint la guerre d’Algérie, puis mai 68…
J’ai appris pas mal de choses. A la fin du livre, l’auteur prête au personnage et à ses comparses flics la responsabilité de la décision de Coluche de retirer sa candidature à la candidature des élections de 81 (vous suivez ?). Je ne savais pas –ou plus- que l’humoriste avait reçu des menaces de mort.
Le « salaud ordinaire » est écœurant dans tous les domaines. Il est un mauvais mari, un mauvais père, une sorte de ripou qui s’en sort toujours bien et se considère comme un gars bien, au-delà de la norme. Il a pour habitude de faire des fiches (déformation professionnelle), des fiches sur sa femme (« dossier sur ses rapports avec Liliane, leur fréquence, leur qualité »), son fils, sa soirée passée au cinéma, sur les acteurs célèbres qu’il lui arrive de croiser. Ce besoin a un côté maniaque et pervers, assez détestable.
Dernier point : le cinéma pourrait constituer le fil directeur du roman. Clément et sa femme y vont régulièrement et on a ainsi droit à une belle rétrospective : Les Disparus de Saint-Agil, La mort ne reçoit plus, OSS 117 n’est pas mort, Le travail c’est la liberté, Inspecteur la Bavure… Amateurs de potins d’antan, ce livre est également pour vous : Montand, Signoret, Sartre, Brassens, Jean-Louis Barrault, etc.