Tout comme pour Construire un feu, je n’ai pas réussi à lâcher cette BD une fois ouverte. Cet auteur a le don de happer le lecteur, et ici, avec de l’horreur et de l’insoutenable !
Les premières planches renvoient au procès du trop célèbre Landru, en novembre 1921. Un avocat énumère ses crimes, le condamne sans indulgence et le traite de « monstre », d’ « impitoyable Barbe-Bleue », d’ « assassin scrupuleux et méthodique ». Puis, retour en arrière. Janvier 1915. Explication des faits à leur source, à leur origine. Sauf que Chabouté nous propose une version toute particulière de cette page historique sanglante. Landru n’est plus le coupable mais la victime ou du moins, le complice inconscient des meurtres commis sur les femmes.
Du fond des tranchées, en janvier 1915, Paul exprime son désir de retrouver sa bien-aimée, Hélène, et de fuir. Ce qu’il ne tarde pas à faire. La guerre aura laissé des traces indélébiles sur son visage puisqu’un obus l’a complètement défiguré. Il lui faudra beaucoup d’argent, prévient-il dans une des dernières lettres adressées à Hélène. Landru, lui, passe son temps à séduire des jeunes femmes par le biais de petites annonces avant de les escroquer. Paul, ayant eu vent de ses petits larcins, le fait chanter en lui demandant de rameuter encore et encore, des femmes riches à la villa de Gambais : « C’est elles qui vont nous donner leur argent et nous supplier de les aider à quitter le pays … et je me ferai un plaisir et un devoir de leur faire prendre un bateau pour l’Argentine ». Landru se voit forcer d’accepter le marché. Les trois complices suivent toujours le même procédé : ils feignent un cambriolage la nuit lorsque la jeune femme est au lit. Paul donne une arme à celle-ci et l’ordre de tirer sur tout ce qui bouge. Les femmes, les unes après les autres, vont croire qu’elles ont tiré et tué un Landru allongé au sol, inerte. Ce n’est qu’au bout de quelques voyages (pour lesquels Landru demandera toujours « deux allers, un retour ») que Landru apprendra le véritable destin des femmes : massacrées, Paul et Hélène leur extorquent leur argent,… mais aussi leur peau, qu’un médecin tente de greffer sur le visage mutilé de Paul.
Pourquoi changer l’Histoire ? est-ce pour nous amener à réfléchir sur la justice ? sur la responsabilité des médias ? sur la « vérité » qui reste toujours une donnée incertaine ? Je ne sais pas mais en tous cas, la version que nous présente Chabouté est une réussite. Le récit est prenant, le graphisme noir et blanc envoûtant. Le réalisme des planches évoquant la Première Guerre fait froid dans le dos. Landru avec sa célèbre barbe pointue passe pour un homme bienveillant trop crédule. Paul, momifié par ses nombreux bandages apparaît comme un monstre, au sens propre comme au sens figuré. Au final, c’est bon comme un excellent polar, images en prime.