Ce récit autobiographique, sorti en janvier de cette année, a déjà fait beaucoup parlé de lui.
Eddy est né dans un petit village du Nord. Ses parents sont des rustres incultes gouvernés par la télé et les beuveries, et son entourage sans exception se complaît dans une vie faite de vulgarités et de violences. Si Eddy fait très vite ce constat, c’est aussi qu’il se sent différent des autres. Il est maniéré, il n’arrive pas à faire la brute, il n’aime ni le foot ni le rap mais apprécie « le théâtre, les chanteuses de variétés, les poupées ». Ses attitudes lui valent des « gonzesse » et « pédé », on l’insulte, on l’injurie et surtout on le frappe. Pendant des mois et des mois, Eddy va accepter sans broncher, sans se rebeller, que deux collégiens plus âgés le battent, presque tous les jours, dans un couloir de l’école, à l’abri des regards.
L’apprentissage de la sexualité passe par la douleur : entre les films pornos et l’insistance de son entourage pour qu’il sorte avec une fille, Eddy ne s’y retrouve plus et constate avec effarement que seuls les garçons le font bander…
Ce livre est extrêmement violent. L’enfant puis ensuite l’adolescent est constamment humilié dans un univers qui n’est pas le sien. La différence quelle qu’elle soit n’est pas acceptée, l’homophobie et le racisme ont encore de beaux jours devant eux, les mentalités sont figées et sclérosées et on ressort effaré de cette tragédie du XXIème siècle. Eddy a subi une malédiction et, heureusement pour lui, il va réussir à fuir. Ce récit a sans doute une visée thérapeutique, mais l’auteur l’a souvent expliqué, il a aussi éprouvé ce besoin de montrer ce qu’il se passait (encore !) dans certaines contrées isolées, comment on y vivait, comment on pensait. Une photographie de la misère intellectuelle et sociale.
Ce qui m’a le plus touchée, c’est cette volonté admirable du garçon à vouloir se couler dans un moule qui n’a pas fait pour lui. Il essaye d’avoir des discussions « meufs » avec des mecs qui ne sont pas des copains, il tente de fourrer lui aussi sa langue dans la bouche d’une fille (expérience dégoûtante pour lui), il ira même jusqu’à frapper une fille, motivé par les encouragements des autres enfants.
Moi qui ne suis pas une adepte de l’étalage de sa propre vie à la façon Annie Ernaux, j’ai beaucoup apprécié le procédé brut de décoffrage qui permet de connaître les souffrances de ce jeune garçon, sans jamais tomber dans la sensiblerie ni la caricature. D’une simplicité rudement efficace.
Lorsque la mère d’Eddy lui explique qu’elle aimerait qu’il fasse des études parce qu’elle a raté sa vie : « Elle pensait avoir fait des erreurs, avoir barré la route, sans vraiment le souhaiter, à une meilleure destinée, une vie plus facile et plus confortable, loin de l’usine et du souci permanent (plutôt : l’angoisse permanente) de ne pas gérer correctement le budget familial – un seul faux pas pouvait conduire à l’impossibilité de manger à la fin du mois. Elle ne comprenait pas que sa trajectoire, ce qu’elle appelait ses erreurs, entrait au contraire dans un ensemble de mécanismes parfaitement logiques, presque réglés d’avance, implacables. Elle ne se rendait pas compte que sa famille, ses parents, ses frères, sœurs, ses enfants même, et la quasi-totalité des habitants du village, avaient connu es mêmes problèmes, que ce qu’elle appelait donc des erreurs n’étaient en réalité que la plus parfaite expression du déroulement normal des choses. »
« A table, lui (mon père) parlait de temps en temps, il était le seul à en avoir le droit. Il commentait l’actualité Les sales bougnoules, quand tu regardes les infos tu vous que ça, des Arabes. On est même plus en France, on est en Afrique, son repas Encore ça que les Boches n’auront pas. Lui et moi n’avons jamais eu de véritable conversation. Même des choses simples, bonjour ou bon anniversaire, il avait cessé de me les dire. »