Ce roman a été pour moi, à la fin de mon adolescence, un livre-choc. Il a laissé en moi une empreinte forte. Il me tardait donc de le relire… et je me suis un peu sentie comme ces illustres autobiographes qui regardent, adulte, l’enfant qu’ils ont été, avec tendresse, indulgence et amusement.
Emile Sinclair est un enfant ordinaire dans une famille croyante et pratiquante. Pourtant, il sent s’immiscer en lui comme un courant d’air de doute, il a l’impression d’être différent et cette impression se confirme quand il grandit et mûrit. C’est la rencontre avec Max Demian qui va définitivement changer le protagoniste, le guider sur une nouvelle voie et le pousser à réfléchir sur sa vie et sa destinée. Demian enseigne à Sinclair l’essentiel : deux mondes coexistent, le bien et le mal, « la moitié lumineuse et la moitié sombre ». Eux deux, ainsi que quelques privilégiés, portent le « signe » de Caïn, et sont à même de voir l’avenir, de comprendre la vie et le monde, de bâtir un nouvel ordre.
Nous avons bien sûr à faire à un roman d’initiation, le fameux « Bildungsroman» allemand, un roman d’apprentissage qui en suit toutes les étapes obligatoires : étonnement, doute, perdition, remise en question, égalité entre maître et élève, etc. Sinclair se cherche, cherche sa voie, s’isole des autres parce qu’il se sent différent. Il passera par une phase de beuverie mais aussi par une phase ascétique. Le tout est fortement teinté de rêve… et de quelque chose de suranné, qui peut soit plaire, soit faire sourire.
Cette lecture philosophique m’a plu, certes, elle insuffle fraîcheur et onirisme au lecteur et a constitué une sorte de pause méditative dans mes lectures. Malgré quelques passages absolument exquis, je n’ai plus du tout retrouvé l’émerveillement d’il y a quelques années. Je l’ai un peu regretté mais je lirai ou relirai encore Hermann Hesse qui est bien trop peu connu en France.
« Vous devez avoir des rêves que vous me taisez. Je ne veux pas les connaître ; mais je vous dis : vivez-les, ces rêves, jouez-les, construisez-leur des autels. »
« celui qui ne veut que sa destinée n’a plus ni modèle, ni idéal, ni rien de cher et de consolant autour de lui. Et ce serait ce chemin-là qu’il faudrait prendre. Des hommes comme vous et moi sont bien solitaires, mais ils possèdent la compensation secrète d’être autres, de se rebeller, de vouloir l’impossible. A cela aussi il faut renoncer quand on veut parcourir son chemin jusqu'au bout. Il faut arriver à ne vouloir être ni un révolutionnaire, ni un exemple, ni un martyr. »
« L'homme que vous voudriez tuer n'est pas monsieur Untel ; il n'est qu'un déguisement. Quant nous haïssons un homme, nous haïssons dans son image quelque chose qui réside en nous. Ce que nous ne portons pas en nous, ne peut nous toucher. »