Ça fait bien longtemps que je n’avais plus lu de nouvelles, ça me manquait. Contrairement à la plupart des Français (la nouvelle n’est pas un genre « noble » dans notre cher pays…), j’apprécie de lire des textes brefs qui vont à l’essentiel.
Ici, John Cheever a réussi le tour de force de lier ses textes par un fil directeur, celui de la famille.
Les seize nouvelles de ce gros recueil tournent plus au moins toutes autour du thème de la famille. Tantôt c’est un fils exclu du reste de la famille parce qu’il est triste et aigri, tantôt c’est une famille entière qui suit le père à New York pour l’accompagner dans sa brutale ascension sociale qui retombera aussi sec. Il est aussi question d’amour, d’adultère, de drames, de mensonges, de discriminations, de déceptions, des erreurs et des faux-semblants, de l’opposition ville/campagne. Car New York est au cœur du livre. Par-delà les histoires gentillettes ou perturbantes, Cheever nous offre une satire de la société américaine, souvent raciste et intolérante, très à cheval sur des principes qu’elle a du mal à suivre.
Certaines nouvelles ne m’ont pas plu du tout, j’en ai adoré d’autres, notamment la dernière qui porte le titre du recueil, « Déjeuner de famille », qui met en valeur la comédie des apparences poussée à l’extrême. Une autre s’intitule « Trois histoires » et présente, tout simplement trois histoires, dont une a l’originalité du narrateur : un ventre ! Le recueil, sans être passionnant, est intéressant. Je ne pense pas que ce soit l’objectif mais en le refermant, on se dit qu’il ne fait pas bon être américain…
John Cheever est considéré comme le chef de file de l’école dite du New Yorker, du nom de l’hebdomadaire new-yorkais, dès avant la Seconde Guerre mondiale. Il est un écrivain culte aux Etats-Unis, il est le spécialiste de la nouvelle, au même titre que Raymond Carver.
« Le sujet d’aujourd’hui est la métaphysique de l’obésité, et je suis le ventre d’un homme nommé Lawrence Farnsworth. Je suis la cavité de son corps comprise entre le diaphragme et le plancher pelvien et je possède ses viscères. […] Après avoir refusé d’admettre mon existence pendant plus d’un an, il passa enfin de la taille trente-huit à la taille quarante-deux pour ses pantalons. Quand j’atteignis a taille quarante-deux en faisant de mon mieux pour faire un quarante-quatre, mon existence se mit à l’obséder. Il y eut un grave conflit entre ce qu’il avait été et ce qu’il était devenu. Quand quelqu’un enfonçait les doigts dans ma rondeur ou plaisantait sur sa protubérance, son rire forcé ne parvenait pas à dissimuler sa fureur. »