Je cherchais un livre drôle et divertissant. Ma première expérience teuléenne () avec Le Magasin des suicides m’avait vraiment plu. Je me suis dit que ce livre-là devait être dans la même veine. J’en ai pris pour mon grade. C’est une grosse claque ce bouquin, oui !
Le début est trompeur, moi j’ai cru à une farce, un récit burlesque avec des personnages comparables aux Deschiens (en pire).
Les Nicolle sont une famille de paysans normands ignares, vulgaires et brutaux. La mère, Suzanne, est enceinte du troisième. Le ton est donné dès la 4ème page : « Je n’aime pas l’enfant que je porte ». Le père, à la naissance, s’exclame : « Merde, c’est une fille ! ». Il faut dire que ça commence mal pour ce petit être déjà même avant sa naissance. Le bébé, dans le ventre, donna un coup de talon à un mufle à la foire de Saint-Luc de Gavray. La bête s’agita, fut à l’origine de bousculades puis l’affolement se généralisa, certains fêtards furent piétinés.
Catherine, la petite fille en question, est élevée dans la crasse, l’absence d’affection et l’humiliation. Ses surnoms (donnés par les parents…) : « c’te grosse vache » et « grosse futaille » l’incitent à rêver à un avenir meilleur. Cet espoir, elle le place dans la nationale qui passe juste à côté de leur ferme mais surtout, elle admire les camionneurs qui la font soupirer d’amour. Elle connaîtra d’ailleurs son premier orgasme en courant après un camion dans un short très moulant et trop petit.
Le livre va crescendo. Après un début très folklorique, on tombe rapidement dans le glauque : le frère aîné frappe sa mère mais, chez le coiffeur, se fait faire la même tête qu’elle, et finira par se pendre … et on termine par l’horreur. Pas d’autre mot ! Catherine se voit enfin accepter par un chauffeur routier qui l’épousera. Pas de bol, elle tombe sur le pire du pire, il la bat, l’offre à ses copains comme un jouet sexuel et l’humilie avec sa nouvelle maîtresse (en lui piquant des épingles dans les fesses sous les yeux de ses enfants à elle ! … entre autres !).
La fin du livre est terrifiante, elle m’a donné la nausée. Catherine, qui se fait appeler Darling, a trois enfants qu’elle a abandonnés pour mieux fuir son mari (enfin !) et on retrouve ces petits enfants, tous plus ou moins atteints de méchanceté et de démence. L’histoire semble se répéter.
Le roman se présente comme un dialogue entre Darling et Jean Teulé lui-même… et l’histoire dramatique de cette pauvre fille serait authentique !
On ne peut pas rester indifférent à cette biographie. Darling est un croisement entre une Gervaise malheureuse et une Cosette monstrueuse. Elle est la victime mais aussi parfois la responsable de ses déboires. L’écriture est à son image, crue et familière. Les phrases sont courtes et parsemées d’interjections. Les quelques commentaires en italiques de Jean Teulé, commentaires neutres et parfois froids, rendent le texte encore plus tragique. Il y a du Rabelais là-dedans, en plus cynique peut-être.
Roman naturaliste et pessimiste, il nous donne finalement une bien belle image de notre vie à nous, confortable et douce. Est-ce là le but de Jean Teulé ?
Il m’a aussi fait penser à certains romans d’Afrique noire, chez Monénembo, où l’on gratte la couche sale pour y découvrir quelque chose de pur. Le rôle de martyre, Darling le tient à merveille. Elle se veut certainement une figure de proue des souffrances féminines « Des filles comme moi, le siècle en a plein ses tiroirs ».
Le mariage de Darling et Joël constitue certainement l’acmé du roman. Ses parents, Suzanne et Georges sont (malheureusement) présents :
« Suzanne – mouche à merde – virevoltait de groupe en groupe et débitait la même rengaine dans un petit rire de fourmi :
- Vous savez que ma fille est une morue ? Si, si je vous assure… il n’y a que…
- Tiens, v’là la putain ! dit Georges, les deux mains dans ses poches, en tenue de maquignon comme s’il allait visiter une étable.
Darling, enceinte de presque cinq mois, arrivait au bras de Joël au milieu de la place ensoleillée ».
Tu m’as donné ta boue et j’en ai fait de l’or…