Je crois que j’aurais pu l’écrire ce bouquin (ouais, mais j’l’ai pas fait, me direz-vous…)
Princesse Soso est prof d’anglais dans un collège rural classé ZEP, le genre de bahut où il ne fait pas bon atterrir quand on vient d’avoir son CAPES, quoi ! Et elle nous raconte une année scolaire-type à sa manière, avec un langage fleuri, djeunz, cru et souvent vulgaire, mais à l’image de ce qu’elle entend à longueur de journée de la part de ses charmantes têtes blondes, de ses choupis, comme elle aime les appeler. L’humour est bien sûr omniprésent mais il cache aussi la consternation et l’effarement de Princesse Soso et de nous tous, profs.
Il faut dire que Princesse Soso côtoie des élèves particulièrement salés, elle est gâtée entre Manolito le crado qui n’a jamais ses affaires et qui sèche un jour sur deux, Leslie qui s’habille comme une p… et dont la ceinture porte le nom sans équivoque de « BITCH » et Cassandra qui ment comme elle respire. Ce qui m’a le plus choquée, c’est l’importance de la sexualité chez ces grands enfants. L’amour est un terme galvaudé et il n’est pas rare d’avoir 3 ou 4 petits amis différents dans une journée pour une élève de 6ème ou d’être pris en flag en train de faire une petite gâterie buccale à un copain en 4ème.
J’ai les mêmes en moins pire quand même ! Ce qui ressort de ce bouquin c’est le côté hyper mouvant et folklorique d’une journée de prof. On ne s’ennuie jamais, on n’est jamais certain de pouvoir faire ce qu’on avait prévu, on n’est jamais à l’abri d’une bagarre, d’un évanouissement, d’une scarification, d’une colère d’élève (qui sort de la salle de classe en claquant la porte !), de pleurs (qu’est-ce que j’en ai, de plus en plus, des gamins qui chouinent pour tout et n’importe quoi !), bref, ça fourmille et ça fait du bruit tout le temps ! Mais ma réalité rejoint sa réalité là…
Je me suis vraiment retrouvée dans ce récit. Apparemment, on est de la même génération et Princesse Soso compare d’ailleurs une salle de perm de 1993 (je sortais à peine du collège) et une « salle de sperm » de 2009. Un petit extrait des occupations des élèves en 93 :
- « Terminer le problème de maths à base de train à la con qui partirait à 8h23 et d’un robinet qui fuit (on voit bien que les profs de maths ne prennent pas le RER et ne sont pas plombiers).
- Papoter discrètement à propos de la boum de samedi aprèm dans le garage de Ludo. Même qu’il y aura du panaché. Nan sans blague. Eh ouais.
- Ecrire dans son agenda Chevignon des aphorismes dignes de Nietzsche : « Le slow est l’expression verticale d’un désir horizontal. »
- Papoter discrètement à propos de la boum de samedi aprèm dans le garage de Ludo. Même que j’amène mon CD de Culture Beat. Même qu’Antoine a prévu de demander à Claire de sortir avec lui. Nan. Siiiii, j’te jure. Il veut trop danser avec elle sur I miss You de Haddaway avec elle et sur la BO de Top Gun. Ah ouais, Take my breath away. Trop romantique.
- Pomper le devoir de maths de Véronique pour pouvoir terminer tranquillou son acrostiche pour sa best.
- Se raconter comment on a galéré à enregistrer sur K7 audio la dédicace de Géraldine hier sur Chérie FM. Elle a dédicacé I love your smile de Shanice à Arnaud.
- Checker le cinéma de mercredi après-midi. On va voir Arizona Dream ? (Y’a Johnny Depp !) »
Version 2009 :
- « Terminer le problème de maths à la con qui consiste à colorier en rouge le triangle équilatéral, en bleu le triangle isocèle et en vert le triangle rectangle. Mais comment les profs de maths de quatrième, c’est trop le IIIè Reich, quoi.
- Papoter discrètement à propos de la « teuf » de samedi soir chez Sabrina. Même que j’amène de la manzana. Cool, ça ira bien avec la vodka. Faut dire à Madison de pas oublier les Red Bull.
- Envoyer un SMS à Jason pour lui demander la taille de sa bite.
- Ecrire dans son agenda Quicksilver des aphorismes dignes de Jean-Jacques Larusso : « J’aiime pas les chaudasse qui fond leurs chaudière et par deriière paniike leur mère quand elle doive emballer leur keum.
- Ecrire au stylo rose pailleté parfume ananas/framboise un mot trop love à sa bestah’, sa Number’Twwo ou à son Essentiell’ : « t’as réussi la ou tous ont échouer. T mon oxigenne et JTM PQTOM TMTC Beibbei.
- Checker quel film on télécharge ce week-end. Nan, pas Les Ch’tis, on les a vus douze mille fois. Ou alors on se mate Pirates des Caraïbes (avec Johnny Depp !)
- Entendre Maryne traiter Charlyne de « pute à matelots » en suçant son majeur avant de lui envoyer son compas à la gueule. »
Eh oui… c’est affligeant ! A propos de la « bestah » (traduire : la meilleure amie), un phénomène plus qu’étrange a vu le jour récemment. Princesse Soso en parle aussi. On donne des noms bien affectueux à sa meilleure copine, comme « ma femme », « ma pute » (les deux sont hyper courants). De toute manière, « pute » n’a que peu de valeur. L’année dernière un de mes gugusses de troisième avait traité sa camarade de classe de cette jolie appellation. Je le reprends à l’ordre et la gamine insultée (pourtant grande gueule par ailleurs) a juste … souri. Presque fière. Je lui ai dit qu’elle ne devait pas accepter ça, et elle de me répondre « mais non, c’est pas grave, c’est juste pour rire ». !!!
Donc, même si apparemment, le sexe, chez mes élèves pour le moins, reste légèrement tabou, il y a des choses à ne pas dire : j’ai malheureusement utilisé l’expression « en préliminaire », toute la classe de 4ème était rouge à force de rire, de pouffer ou de se retenir de rire…
Bon, désolée, si mon expérience perso interfère sur celle de Princesse Soso mais quel prof ne sera pas d’accord avec ces définitions de notre profession et de notre quotidien :
« Quand on est prof, on fait l’Olympia tous les jours. On monte sur scène, on séduit son public, on rappelle qu’il faut éteindre son portable pendant le spectacle et on prend à parti les gros malins qui discutent pendant le stand-up. »
« maintenant, quand tu es prof, en plus d’avoir obtenu un concours, tu dois avoir un mastère en informatique ( pour maîtriser comme une bête les Powerpoint, Excel, Photoshop, Adobe Premiere Pro 2 et autres PDF qui déchirent), tu dois avoir un diplôme d’éducateur/psychologue pour gérer les crises des gamins en souffrance (genre Jade qui aime bien se faire saigner son bras à l’aide de son compas ou des lames de son taille-crayon), tu dois aussi être prof-clown, c’est-à-dire ne pas traumatiser les choupinous avec des vilaines dictées ou des vilains devoirs qui les empêcherait de s’épanouir. Il est également fortement conseillé d’avoir un brevet de secouriste, un brevet de moniteur d’école, quelques notions de médecine (« Madaaaaame, y a Alison qui s’est coincé sa gomme dans le nez et ça sort plus et elle est toute rouge ») et un mastère en histoire de l’art [et du cochon]. » (Oui, dernière lubie du rectorat que Princesse Soso surnomme si finement Ray Ktora).
Un livre indispensable aux profs et (surtout) à ceux qui ne le sont pas. Rire de son métier pour ne pas en pleurer…
Un regret : l’absence d’un chapitre, non de deux, à propos des collègues (qui mériteraient un bouquin à eux tout seuls !)
Un merci à Soso : pour avoir rappelé à mon doux souvenir le nom de Werner Schreyer (et de tant d’autres !)