Ce roman fait partie des préférés de la blogosphère en ce moment et, comme je suis extrêmement influençable (dieu merci, pour la lecture seulement, enfin je crois !), je me suis procurée dare-dare ce court roman…. qui n’est pas si loin du documentaire, de la poésie, bref, qui virevolte entre plusieurs genres.
Des jeunes filles japonaises au début du XXème siècle. Leur destin est le même : embarquer pour une longue traversée et rejoindre leur futur mari qu’elles n’ont vu qu’en photo, aux Etats-Unis. Certaines se réjouissent en s’attendant à voir leur vie s’améliorer, d’autres sont nostalgiques de leur petit village japonais mais toutes sont anxieuses, toutes se lancent vers l’inconnu. Pour exprimer cela, Julie Otsuka utilise le « nous » généralisant et l’associe au procédé de l’énumération pour être la plus exhaustive possible : « Sur le bateau nous conservions la photographie de notre époux dans un minuscule médaillon ovale suspendu à notre cou au bout d’une longue chaîne. Nous la gardions dans une bourse de soie, une vieille boîte à thé, un coffret de laque rouge, dans la grosse enveloppe marron qui nous l’avait apportée d’Amérique. »
Arrivées sur le sol américain, les jeunes Japonaises déchantent vite : le mari n’est ni beau ni riche, elles doivent trimer autant ou plus qu’elles ne l’auraient fait en restant au pays. Rares sont celles qui trouvent un homme aimant, rares sont celles qui s’épanouissent dans leur métier de bonne, de paysanne, de vendeuse. Elles travaillent et se taisent face au racisme ambiant. Elles enfantent aussi, parfois dans la joie, souvent dans la douleur, dans la peine. Enfin, elles connaissent la 2ème Guerre Mondiale et le bannissement total, les Japonais disparaissent, les uns après les autres.
C’est un roman qui se lit d’une seule traite, d’un seul souffle, qui a la beauté des poèmes et l’esprit méditatif des prières. L’auteur rend un magnifique hommage à ces femmes silencieuses, mais, par le truchement de ce « nous », je veux y voir un hommage à toutes les femmes, et pourquoi pas un hymne à la gente féminine. Certains passages sont bouleversants et aucun ne nous laisse de marbre, je suis passée par toutes les émotions, bien scotchée à mon livre, happée par la vie de ces femmes si effacées et tellement hors du commun.
A lire !
Une hésitation, avant d’atteindre le sol américain : « Et souvent en nous endormant nous nous prenions à penser à ce fils de paysan avec qui nous discutions chaque jour en rentrant de l’école – ce beau garçon du village voisin dont les doigts parvenaient à faire germer les graines les plus rétives -, et nos mères qui savaient tout, y compris lire dans nos pensées, nous regardaient comme si nous étions folles. Veux-tu passer le reste de ta vie accroupie dans un champ ? (Nous avions hésité, presque répondu oui, car n’avions-nous pas toujours rêvé de devenir notre mère ? N’était-ce pas là ce que nous voulions être à une époque?) »
Le chapitre consacré aux naissances m’a particulièrement émue : « Nous avons accouché de bébés qui souffraient de coliques. De bébés au pied-bot. De bébés bleus et maladifs. Nous avons accouché sans nos mères, qui auraient su exactement quoi faire. Nous avons accouché de bébés à six doigts et nous avons détourné les yeux quand la sage-femme a commencé d’aiguiser son couteau. Vous avez dû manger un crabe pendant votre grossesse. Nous avions attrapé une blennorragie dès la première nuit avec notre mari et nous avons eu des bébés aveugles. Nous avons eu des jumeaux, ce qui porte malheur, et nous avons demandé à la sagefemme que l’un d’eux se transforme en « visiteur d’un jour ». À vous de décider lequel. Nous avons eu onze enfants en quinze ans mais seulement sept ont survécu. »