Alors que je m’étais précipitée sur Dernière nuit à Twisted River (que j’ai adoré !), j’ai attendu quelque temps pour lire le dernier Irving. Allez savoir pourquoi… peut-être une petite intuition !
Bill est un adolescent en pleine « incertitude sexuelle ». En effet, il est charmé par Richard, cet homme qui deviendra son beau-père ; la bibliothécaire, Miss Frost, et ses petits seins l’attirent également terriblement et enfin, c’est encore devant un camarade de lycée, le beau Kittredge, qu’il perd vraiment tous ses moyens.
A travers le récit d’un Bill à la fin de sa vie, c’est toute l’existence de cet homme qu’on nous présente sous un angle bien précis : celui de sa sexualité. Bill est bisexuel, il aime les hommes mais également les femmes, ce qui lui fait apprécier le contact des transsexuels. Insistance est faite sur l’adolescence de Bill et les quelques événements qui ont contribué à bâtir son avenir. Les personnages sont hauts en couleur : Elaine, sa meilleure amie et la première fille qu’il a « essayée », la mère d’Elaine qui l’a aidé à soigner ses problèmes d’élocution (au lieu de « pénis », Bill prononce « pénif »), son grand-père Harry qui a toujours adoré jouer ses pièces de théâtre déguisé en femme, Kittredge, l’étudiant qui faisait craquer garçons et filles mais qui brillait par sa cruauté, et surtout, Miss Frost, cette bibliothécaire qui l’a guidé dans ses lectures et dans bien d’autres choses…
J’ai aimé une bonne partie du roman, la formation de cet homme, ses craintes de ne pas être « comme tout le monde », son avancée dans la vie. Le personnage est attachant mais la place de la sexualité m’a paru trop grande, complètement envahissante vers la fin du livre. Le pauvre lecteur hétéro passerait presque pour un abruti… La tonalité est assez négative aussi, les personnages principaux meurent les uns après les autres (forcément, me direz-vous, puisque le « héros » vieillit…), le sida occupe une bonne centaine de pages.
Côté positif, parce qu’évidemment, il y en a, je placerais en toute première position le thème du théâtre. Bill joue dans une troupe d’amateurs pour laquelle sa mère tenait le rôle de souffleuse. La troupe joue des classiques tels que des pièces d’Ibsen, de Shakespeare. Irving met en lumière le long processus de mise en scène d’une pièce et insiste sur l’apprentissage d’un texte, sur la distribution des rôles, sur le jeu des acteurs, sur l’accueil du public. Pour moi qui joue aussi dans une petite troupe (mais nous n’avons jamais osé toucher au grand Shakespeare !), cette partie-là fut jubilatoire. J’ai aussi aimé le côté complètement barré des personnages, spécialité « irvingienne », l’humanité de l’auteur, une autre constante qui, ici, s’exhibe dans toute sa splendeur.
« Mon béguin pour lui devenait de moins en moins curable ; si ma mère était déjà amoureuse de Richard Abbott, elle n’était pas la seule.
Je me souviens très bien de cette nuit magique où une chose banale comme de marcher sur le trottoir de River Street avec l’ensorcelant Richard me semblait romantique. L’air était chaud et humide, comme par une nuit d’été, l’orage couvait dans le lointain. Tous les enfants et les chiens du voisinage jouaient dans les jardins de River Street. A un moment donné, le beffroi de la Favorite River Academy sonna l’heure : il n’était que dix-neuf heures, ce soir de septembre, et mon enfance, comme Richard l’avait pressenti, laissait place aux prémices de l’adolescence.
Parlons franchement, qu’est-ce qui t’intéresse vraiment chez toi, Bill ? me demanda Richard.
Je ne sais pas pourquoi j’ai des… béguins soudains, inexplicables, lui répondis-je.
Oh, des béguins… ça ne fait que commencer, dit-il pour m’encourager. Les béguins, c’est très courant, il ne faut pas que ça t’étonne d’en avoir – il faut même en profiter ! ajouta-t-il.
Parfois, on se trompe de personne, hasardai-je.
Mais il n’y a pas de bon ou de mauvais béguin, Bille, m’assura-t-il. Un e béguin, ça ne se contrôle pas, ça vous tombe dessus, voilà tout. »
Bilan ? Ni déception, ni exaltation. Je mettrai 4/5 sur le blog de Val et son Challenge for John Irving.