Excellent, ce livre ! Voilà un polar extrêmement original, intelligent et subtil. C’est Saxaoul qui me l’a très gentiment prêté et je la remercie de m’avoir fait partager cette agréable découverte.
Un type, à l’aube de ses 40 ans, s’interroge sur sa vie en sortant les poubelles, le soir. Les premières pages sont déjà un régal à elles toutes seules.
Le regard de cet homme sur son existence n’est pas tendre : son boulot de publicitaire l’ennuie énormément : « Je rentre dans mon grand bureau avec vue pour en ressortir aussitôt et gagner la machine à café. Cela dit, dans la pub, on possède un percolateur. J’empoigne mon mug – ça va forcément avec le percolateur – et je ne le lâcherai pas avant midi. Cela fait partie de ma fonction, comme m’asseoir sur un coin de bureau, envoyer un clin d’œil à la nouvelle stagiaire, lancer régulièrement « dis-lui de me rappeler plus tard, je suis charrette » ou d’autres refrains que l’on apprend en deux semaines dans n’importe quelle agence ».
Côté vie amoureuse et privée, le quarantenaire a une fille de 15 ans et une épouse qu’il ne regarde plus, sauf pour la juger : « j’ai donc épousé une danseuse. Vingt ans plus tard, je me retrouve avec une concrétion molle qui collectionne les « biscuits », ces affreux motifs en porcelaine émaillée. En se mettant à grossir, elle s’est mise à accumuler ces petits morceaux de fragilité, peut-être pour compenser sa grâce perdue. Résultat : il y en a partout. »
Il décide donc de changer de vie… mais ça se fera d’une manière plutôt insolite. Il s’inscrit sur un site de rencontres grâce à Melinda, un pseudo féminin, à la photo plus qu’attirante, collectionne les mâles au taux de testostérone trop élevé pour … se faire sérial killer. Vous lisez bien : notre gugusse mécontent de la vie, envoie régulièrement à un journaliste, Sanglar, des photos mettant en scène un crime : du sang, une partie d’un corps, de gros tas de poussière et une chambre d’hôtel. La police dirigée par Joël Schmidt est à l’affût.
Sanglar est quant à lui, malmené par la plume de Rizman qui en fait un homme des bois, rustre, sale, qui « aime fouiner, oui, il aime l’animal, le sauvage, le primitif. » Il rejoint régulièrement sa « Mémé » au fin fond de la forêt. On ne sait pas exactement s’il s’agit d’une personne bien réelle ou d’une métaphore de la terre puisqu’il l’appelle Mémé Gaïa. Sur le blog de Saxaoul, ce personnage hors temps a presque fait polémique, certains lecteurs le trouvant trop invraisemblable. Moi il m’a plu, cet être mi-homme mi-bête capable d’être un journaliste à succès.
Revenons à notre tueur en série qui se fait appeler Le Scarabée. Il rencontre, via son site préféré, SoleilRouge qui ouvre le bal en lui demandant s’il est un sérial killer. Le Scarabée ne se débine pas et lui avoue tous ses « crimes ». Elle lui avoue les siens. Eh oui, je mets des guillemets car de crimes, il n’y en a point. Mises en scène et grosse mascarade, c’est tout. La révélation de tous ces artifices est délicieuse. Le Scarabée fuit rejoindre SoleilRouge à l’autre bout du monde (c’est peut-être l’élément que j’ai le moins aimé car franchement peu crédible), SoleilRouge qui s’avère être une belle jeune femme, très séduisante. Deux possibilités s’offrent à notre faux meurtrier : elle est une menteuse tout aussi douée que son acolyte, ou alors, elle tue bel et bien tous les hommes qui passent, les découpe en morceaux, les offrant pour le goûter à son chien… Je vous laisse deviner la fin…
Rizman alterne les passages consacrés au Scarabée, écrits à la première personne, et ceux consacrés à Joël et à Sanglar, écrits à la troisième personne. L’ensemble est fluide, le suspense fait cavaler le lecteur jusqu’à la dernière page.
Ce premier roman est une petite merveille, son originalité m’a surprise. Victor Rizman a été (est toujours ?) metteur en scène et on retrouve cette idée de décor, de personnages bien typés, de répliques savamment lancées dans le livre. Faut-il y voir un clin d’œil un peu moqueur aux autres thrillers ? Une satire du monde la communication qui n’est jamais loin de celui de la manipulation ?
Un auteur à suivre à la loupe, tout comme son site, aussi original que son bouquin. Ici.
Encore un extrait concernant cette épouse décrite à l’acide.
« Je regarde, peut-être pour la dernière fois, celle qui fut mon épouse. Une femme mûre, déjà dans son peignoir à froufrou blanc malgré le début de soirée, tourne lentement, mais à un rythme régulier, les pages d’une revue de décoration. Femme en peignoir, canapé recouvert de plaids damassés, abat-jour filtrant la lumière, miniatures en faïence sur la table cérusée : tout est harmonieusement blanc, tout est tristement incolore, tout est insipide. »