Connaissez-vous le plus grand rucher du monde?
Anir a dix ans et il vit avec son grand-père Jeddi, compagnon de tous les jours qui lui raconte la nature marocaine, les tomates, les scorpions, les arganiers, les oliviers, les caroubiers et surtout les abeilles car dans leur village d’Inzerki, on trouve le plus grand des ruchers, un rucher sacré, le Taddart. Anir vit aussi avec sa mère mais il l’a toujours connue « possédée » comme disent les villageois, absente, seule dans son monde à murmurer toujours la même comptine sur le même rythme « do do da ». Le père d’Anir est parti à la ville, à Agadir, pour gagner plus d’argent afin de guérir sa femme qu’il a toujours aimée mais Jeddi sait bien qu’aucun médicament, qu’aucun médecin ne pourra la guérir puisqu’elle est maudite parce qu’elle a touché aux ruches interdites. Et cette nuit-là, dix ans plus tôt, Jeddi a répandu ce récit qui a condamné la femme à l’isolement. Mais Anir ne sait pas tout, on lui a toujours tu le secret qui entoure d’un voile sombre sa petite enfance et cet état de démence dans lequel se trouve sa mère.
Court, dense et efficace, le roman nous embarque immédiatement dans cet univers marocain régi par les abeilles. Sous les apparences d’une fable, il raconte avec simplicité la douleur d’une mère, le déclin de la nature, la fragilité des humains et le pouvoir des traditions qu’il soit bon ou néfaste. Avec une authenticité bouleversante et une pureté dans l’écriture souvent teintée de poésie, l’autrice place sur un piédestal ce village marocain où un petit garçon devient un héros, une sorte d’ange innocent. J’ai été émue par ce texte jamais manichéen qui revêt rapidement une dimension universelle qui touche tout le monde. Bravo à l’autrice dont j’ai envie de lire davantage.
--- Coup de cœur ---
Souviens-toi des abeilles fait partie de ces livres où on aime tout. A lire.
L’amour d’Omar pour sa femme : « C'est pour cette lumière dans le regard lorsqu'elle revenait, ce regard qui n'avait de noir que la couleur, qu'il ne disait rien, la laissait partir. Lorsque cette lumière inondait la pièce nue qui leur servait de chambre à coucher, qu'elle lui souriait de ses yeux immenses, puis que son corps à elle se plaçait près de son corps à lui, qu'elle se cambrait et que le parfum de ses cheveux lui esquissait et les secrets de la journée, Omar sentait bien que, pour lui aussi, cette liberté était vitale. Après cette nuit-là la lumière s'est éteinte. »
« Autour de la ruche d’Anir, quelques cadavres. Jeddi ouvre délicatement le couvercle en palmier. C'est à chaque fois très dur, très dur de les voir comme ça ; de les prendre entre le pouce et l'index ; de toucher leurs ailes si fines ; de ne plus entendre leur bourdonnement. C'est tout petit, une abeille, tout petit, ça ne devrait pas mourir pour une histoire de terre qui s’assèche, ça ne devrait pas mourir, une abeille ; c'est comme un enfant malade, une mère qui ne reconnaît plus son fils, ça ne devrait pas exister, ces choses-là : des injustices comme celles-là, sur la terre, ça ne devrait pas exister, une abeille qui meurt, un enfant qui ne guérit pas, une mère aux yeux métalliques, des injustices qui brisent tout à l'intérieur, qui nouent le ventre et nous laissent sans souffle. Impuissants. Comment expliquer cela à Anir ? Comment ?
« Que fait-on après le silence des abeilles ? »
C’est à Gambadou que je dois cette belle lecture, merci à elle !